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Les recherches scientifiques de Lavoisier furent interrompues à ce moment par les devoirs que lui imposaient ses fonctions dans la ferme générale, où il était entré en mars 1768, peu de jours après sa nomination à l’Académie. Désireux de se consacrer à la science, et sentant qu’une grande fortune lui en faciliterait les moyens et lui assurerait l’indépendance, il cherchait les moyens de faire fructifier par son travail la fortune personnelle qu’il tenait de sa mère. Sur le conseil d’un ami de la famille, M. de La Galaizière[1], il entra dans les fermes à titre d’adjoint du fermier-général Baudon, qui lui céda un tiers de son intérêt dans le bail d’Alaterre. Les collègues de Lavoisier à l’Académie ne virent pas d’un œil favorable cette détermination ; ils craignirent que ses nouvelles fonctions ne l’éloignassent de la science ; l’un d’eux, le géomètre Fontaine, aux observations de ses confrères, répondit : « Tant mieux ! les dîners qu’il nous donnera seront meilleurs[2]. »

Les fonctions de Lavoisier l’obligeaient à des tournées d’inspection ; l’année même de sa nomination, il parcourut la Picardie ; mais, tout en remplissant les devoirs d’adjoint, il n’oubliait aucun de ses devoirs de savant. Durant ce voyage, comme lors de tous ceux qu’il fit pour les fermes, il poursuivait avec une régularité absolue ses travaux ; chaque jour il faisait des observations barométriques, prenait des notes de minéralogie et de géologie, en même temps qu’il augmentait la somme de ses connaissances en visitant les principales manufactures des provinces qu’il parcourait. Deux jours après avoir lu à l’Académie son mémoire sur les eaux de l’Yvette, il commençait une nouvelle tournée d’inspection, qui dura du 18 juillet 1769 au 7 janvier 1770, pour visiter les lignes des postes de douaniers et inspecter les manufactures de tabac. Il séjourna successivement à Châlons-sur-Marne, Charleville, Épernay, Soissons, Lille, Reims, d’où il adressa à Macquer l’observation d’une aurore boréale. Placé sous les ordres du fermier-général Paulze, il entretenait avec celui-ci une volumineuse correspondance, toute relative aux affaires de la ferme. Rentré à Paris au commencement de 1770, il fit quelques rapports à l’Académie et lui fut son important mémoire sur l’attaque du verre par l’eau. Peu après, il fut chargé de se rendre au Havre et à Dieppe, afin d’expérimenter un instrument présenté par Cassini, et destiné à

  1. M. de La Galaizière, intendant de Lorraine, eut le titre de chancelier de Pologne, quand Louis XV donna la Lorraine à son beau-père Stanislas Leczinski.
  2. Notice biographique rédigée par Mme  Lavoisier (manuscrit inédit).