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prodigieuse, et les sentimens qu’il éprouva à Déniant, où il alla saluer le tombeau de Maupertuis[1]. Les observations barométriques faillirent être interrompues par un accident : le baromètre fut cassé, et Bâle ne renfermait aucun ouvrier capable de le réparer ; heureusement qu’un habitant, M. Jacques Bavière, Aux trois pots rouges, en possédait un qu’il voulut bien céder. Après Bâle, les naturalistes visitèrent Mulhouse, Thann, Gerardmer, ou ils gravirent la cime la plus élevée des Vosges, accompagnés d’un peintre qu’ils avaient engagé pour dessiner une vue panoramique des montagnes, et qu’ils gardèrent jusqu’à Colmar, après s’être ainsi formé une collection importante de dessins. A Sainte-Marie, les mines étaient inondées ; ils n’y purent descendre. Que d’alarmes se serait épargnées Mlle  Punctis, si cet événement lui avait été connu ! A Strasbourg, où ils arrivèrent le 3 septembre, Lavoisier eut la joie de trouver les thermomètres envoyés par son père ; il y fit la connaissance d’hommes éminens, entre autres de deux chimistes, Spielmann, l’auteur renommé des Instituts de chimie, et Erhmann, qui devait être plus tard un des admirateurs des grandes découvertes de Lavoisier. Celui-ci avait la plus grande hâte d’arriver à Strasbourg, pour y trouver un M. Brakenof que l’abbé Chappe d’Hauteroche avait chargé de relever les observations barométriques pour les comparer à celles que Lavoisier faisait de son côté. Enfin notre jeune savant eut le plaisir de trouver chez le libraire Kœnig un grand choix de livres de chimie, publiés en Allemagne et inconnus à Paris ; il en acheta pour 500 livres, en écrivant à son père qu’il craignait bien que la somme ne fût un peu considérable, mais certain que celui-ci ne trouverait rien à reprendre dans les dépenses de son fils.

Pendant quelque temps, les voyageurs eurent à souffrir de la chaleur en Alsace, surtout à Thann. Après Strasbourg, les pluies vinrent de nouveau les contrarier ; ils firent leur voyage de retour par Saverne, Phalsbourg, Baccarat, Remiremont, Plombières, Épinal, Luxeuil, Mirecourt et Nancy, dans l’intention de gagner vers le 6 octobre Bourbonne-les-Bains, où Lavoisier père devait venir à leur rencontre. Plus d’une fois ils durent s’arrêter dans de pauvres villages, où à peine purent-ils trouver un logement ; ainsi Lavoisier écrit de Caumont : « Nous sommes logés ici dans le plus villain cabaret que nous ayons vu dans toute notre route ; nous sommes logés dans une espèce de grenier mal fermé, où nous sommes empestés par une provision d’oignons qu’on y a mis pour sécher ;

  1. « Nous avons été voir à deux lieues de la ville le tombeau d’un homme célèbre qui, après avoir mesuré la terre sur le pôle, après avoir rempli la France et la Prusse de sa réputation, est venu mourir dans un coin ignoré de l’univers. » (Lettre de Lavoisier.)