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à Brest, M. Blondeau, professeur d’hydrographie ; enfin, à Alep et à Bagdad, M. de Beauchamp, vicaire-général de Babylone ; et de 1770 à 1788, Hatton La Gainière, fourrier des logis de la reine, qui habitait Fresnay-le-Vicomte, dans le Maine, lui envoyait l’état des pluies tombées dans l’année. Malheureusement le travail d’ensemble dans lequel il devait tirer les conclusions des observations relevées pendant plus de trente ans n’a jamais été fait ; c’est une des œuvres de Lavoisier dont la mort a empêché la réalisation.

Les occupations si multipliées de sa jeunesse, son incroyable ardeur au travail, ne lui permettaient guère de remplir ses devoirs de société ; aussi, pour s’y soustraire, eut-il, à dix-neuf ans, l’idée d’invoquer des raisons de santé ; il se mit pendant quelques mois au régime exclusif du lait[1]. Ses amis, du reste, le croyaient malade ; l’un d’eux, M. de Troncq, lui envoyait du gruau et lui écrivait en 1763 : « Votre santé, mon aimable mathématicien, est comme celle de tous les gens de lettres dont l’esprit est plus fort que le corps ; aussi ménagés vos études et croiés qu’une année de plus sur la terre vaut mieux que cent dans la mémoire des hommes. »

À cette heure de la vingtième année, Lavoisier vivait heureux, en compagnie des hommes les plus distingués de son temps, qui, de ses maîtres, devenaient ses amis, entouré des affections de la famille dans cette maison de la rue du Four-Saint-Eustache, où l’on ne recevait que quelques intimes, car la grand’mère, Mme Punctis, aimait la solitude et la tranquillité. Parmi ces intimes se trouvait le naturaliste Guettard, dont l’influence semble avoir déterminé la vocation du jeune Lavoisier, que séduisait en même temps la gloire de Buffon. Guettard s’était d’abord fait connaître comme botaniste, et était entré à ce titre à l’Académie en 1743 ; puis, abandonnant en partie cette étude, il s’était adonné à la géologie et à la minéralogie, et, le premier, avait eu l’idée d’établir des cartes minéralogiques indiquant, par des caractères spéciaux, la nature du sol, les mines et les carrières. Il avait fait dans ce dessein de nombreux voyages en France et à l’étranger ; mais, sentant que la vie d’un homme était insuffisante pour mener à bonne fin la tâche qu’il s’était proposée, il voulut s’adjoindre un collaborateur jeune et actif qui pût continuer son œuvre, et s’adressa à Lavoisier, qui avait alors vingt ans. Dès 1763, celui-ci, même avant d’avoir terminé ses études de droit, fut le collaborateur de Guettard ; pendant trois ans, il parcourut la Brie, le Vexin, le Soissonnais, une partie de la Champagne et les environs immédiats de Paris, relevant les coupes de terrains, recueillant des échantillons,

  1. Note manuscrite de Mme Lavoisier.