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La maison de répression de Nanterre contient, comme l’ancienne maison de Saint-Denis, trois catégories différentes de détenus[1] : les mendians libérés, mais que l’administration retient en vertu des pouvoirs que lui confère l’article 274 du code pénal ; les individus en hospitalité, et les individus détenus par mesure administrative. Cette dernière catégorie est assez difficile à définir, et il faut convenir que la détention dont ils sont l’objet est un peu arbitraire ; mais, si on les garde sous clé, c’est dans leur intérêt même. Ce sont généralement des indigens étrangers ou originaires de la province, qui sollicitent leur rapatriement ou leur admission dans quelque hospice départemental, et qu’on héberge en attendant que leur affaire soit réglée. Ce sont aussi des parens pauvres, des cousins Pons et des cousines Bette, se réclamant de familles aisées auxquelles on s’efforce de les faire reprendre, mais qui ne mettent pas beaucoup d’empressement à se charger de ce fardeau. Quant aux individus en hospitalité, ce sont des malheureux qui, las de lutter contre la misère, « se sont rendus, » suivant l’expression dont ils se servent eux-mêmes, et viennent dire à la police : « Faites de moi ce que vous voudrez. » Les traduire pour vagabondage serait inhumain, et d’ailleurs n’avancerait à rien, car, au bout de quinze jours ou trois semaines de prison, ils seraient rendus à la liberté et se trouveraient sur le pavé comme auparavant. On les reçoit donc et on les garde plus ou moins longtemps, quelques-uns toujours, mais ceux-là seulement qui sont atteints de quelque incapacité de travail ou parvenus à l’extrême vieillesse. Le grand nombre d’estropiés ou de demi-aveugles qu’on trouve parmi eux explique leur histoire. Quelques-uns sont atteints de maladies absolument incurables. C’est ainsi que j’ai vu un malheureux cloué dans son lit par une paralysie générale ; il avait perdu l’usage de tous ses membres, sauf la main gauche, dont il se servait péniblement pour écarter les mouches qui venaient se poser sur sa figure, comme si elles sentaient déjà le cadavre. Il faut convenir que la préfecture de police décharge ici l’Assistance publique d’une partie de ses devoirs, et qu’elle reçoit des individus dont la vraie place serait aux Incurables, à Bicêtre ou à la Salpêtrière. Les plus tristes à voir sont encore ceux que l’âge ou la misère a amenés au dernier degré de l’usure physique. Toutes les déchéances, toutes les horreurs de la vieillesse, que Juvénal a décrites en des vers énergiques :

  1. La maison de Nanterre doit servir, en outre, à l’emprisonnement correctionnel et contient deux quartiers cellulaires : l’une pour les hommes, l’autre pour les femmes, comprenant chacun 300 cellules. Mais, ces quartiers n’étant pas encore occupés, nous n’avons point à en parler quant à présent.