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crois bien être le premier qui y ait pénétré en curieux. Elle vaut cependant la peine d’être vue. C’est, en effet, un de ces magnifiques spécimens de gaspillage architectural dont nos administrations françaises se plaisent à donner l’exemple. Le devis primitif était de 8 millions ; elle en a déjà coûté 13, et elle n’est pas achevée. Aussi a-t-il fallu quatorze ans pour l’amener au point où elle en est Là où la brique, le fer et le sapin auraient suffi, on a prodigué la pierre de taille et le chêne. C’est ainsi que, la maison ayant la forme d’un grand rectangle dont la base est assez étroite, un passage couvert, qui court le long des murs, met en communication les divers bâtimens qui composent la maison. Des colonnes en fonte, un pavement en bitume auraient parfaitement suffi : colonnes et pavement, tout est en pierre de taille. C’est un petit Karnak. L’escalier qui monte à l’infirmerie est en pierre de taille également, avec frises sculptées et plaques de marbre. Tous les lambris de l’infirmerie sont en vieux chêne, même les cloisons qui séparent les salles de malades du couloir central. Le cabinet du directeur ferait envie à un préfet et conviendrait à un ministre. En un mot, tout est à l’avenant. Aussi l’administration de la préfecture de police, effrayée de l’argent qu’elle a dépensé, a-t-elle cherché le moyen de faire des économies, et, obéissant plutôt à la crainte de déplaire au conseil municipal qu’à ses propres traditions, elle a fait porter ses économies sur le service religieux. Le plan primitif de la maison comportait au centre une grande chapelle, presque une église, impartialement flanquée, à droite d’un oratoire protestant, à gauche d’une synagogue. La chapelle est et demeurera inachevée : les murs, qu’on a conduits jusqu’à moitié hauteur, commencent à tomber en ruine :


Pendent opera interrupta, minæque
Murorum ingentes.


De l’oratoire protestant on a fait une cantine ; je ne crois pas qu’on ait touché à la synagogue. cette population de 3,000 individus, hommes et femmes, dont beaucoup ont sollicité leur admission volontaire et y finiront leur vie, est donc systématiquement privée de toute possibilité d’assister à un service religieux. Aussi a-t-on fait également l’économie du traitement de l’aumônier. Une petite affiche manuscrite, apposée dans le coin d’une des salles, informe les pensionnaires que ceux qui en feront la demande expresse pourront, à leurs derniers momens, obtenir l’assistance d’un prêtre et un service religieux. Pour ceux-là, on va chercher (y va-t-on ? ) le vicaire d’un village voisin, et le service religieux consiste en quelques prières dites sur le cercueil, à la Morgue même, en présence des autres cadavres. Mais pour ceux qui n’ont point en la prévision de régler eux-mêmes leurs funérailles, pour ceux qui s’éteignent peu