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mendicité de Villers-Cotterets, où elle aurait pu finir sa vie dans des conditions fort douces. Mais comme elle était étrangère au département de la Seine, il fallait, pour la constituer à l’état de vagabondage légal, qu’elle fût passagèrement écrouée au dépôt. Vainement lui fut-il expliqué que ce n’était là qu’une formalité, qu’elle ne serait point confondue avec les autres femmes, mais soignée à l’infirmerie : jamais elle ne voulut consentir à franchir le seuil du dépôt, et, sans doute, dans la crainte qu’on ne l’y conduisît de force, elle quitta furtivement l’asile de nuit. On n’a jamais su ce qu’elle était devenue.

Le quartier des femmes présente au dépôt un aspect beaucoup plus satisfaisant que celui des hommes, et cela grâce, ainsi que je l’ai dit, à l’emplacement proportionnellement plus grand, grâce aussi à la meilleure tenue qui est due, pour beaucoup, au personnel chargé de la surveillance. Il n’est pas douteux que la monomanie laïcisante, qui sévit si durement sur les administrations publiques, ne finisse par atteindre, un jour ou l’autre, celle des prisons, et j’aurai tout à l’heure à noter quelques prodromes de cette affection fâcheuse. Mais je ne vois pas trop comment l’on s’y prendra pour laïciser le dépôt de la préfecture de police, car il ne sera pas possible, faute de place, d’en transformer l’aménagement intérieur, et encore moins de trouver un personnel laïque qui accepte de vivre dans les conditions où vivent les sœurs de Marie-Joseph. Celles-ci sont au nombre de vingt. Neuf couchent dans des cellules identiques en tout point à celles des détenues ; les onze autres dans un dortoir commun. Comme lieu de rafraîchissement physique et moral, elles n’ont qu’un préau, faisant également pendant à celui des détenues, et une petite, bien petite chapelle, où il est rare qu’on n’en trouve pas une ou deux prosternées dans une adoration muette, demandant sans doute à la prière un remède aux défaillances passagères de leur courage. On ne saurait imaginer, en effet, une tâche plus ingrate que la leur. Elles n’ont point la récompense qui doit venir en aide à leurs compagnes dans la charité : le sentiment du bien qu’elles font, de l’influence qu’elles acquièrent sur les âmes. Tout ce qu’elles peuvent se proposer, sauf dans les cas très rares qui amènent leur intervention personnelle, c’est de maintenir l’ordre et d’imposer un peu de décence à ce personnel féminin qui se renouvelle chaque jour et ne fait que leur passer par les mains.

Ce personnel se divise en deux catégories très distinctes : les inculpées de droit commun et les femmes détenues administrativement en vertu des règlemens sur la police des mœurs. Bien qu’il ne fût pas malaisé de prévoir que le nombre des femmes appartenant à la seconde catégorie serait beaucoup plus grand que