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pas très prudent de mettre en éveil celle des sergens de ville, en faisant coucher une femme au milieu d’eux.

Ainsi, dès ces premières heures de la détention, nous trouvons, tant en province qu’à Paris, ce que nous rencontrerons bien souvent au cours de cette enquête : la promiscuité, la promiscuité brutale, sans tempéramens, sans précautions, avec tous les avilissemens qu’elle entraîne. Heureusement, cette détention provisoire n’est jamais de bien longue durée. En province, les individus qui sont enfermés au violon en sont généralement extraits le matin ou le soir, c’est-à-dire après une nuit ou une journée de séjour, pour être conduits à la maison d’arrêt. Régulièrement, le gardien-chef ne devrait point les admettre, puisque, n’ayant encore été interrogés par aucun magistrat, ils ne sont point détenus sous mandat d’arrêt ou de dépôt. Aussi ne sont-ils point écroués, mais simplement reçus à titre provisoire, et leur écrou n’a lieu que le lendemain, après qu’ils ont été interrogés, et sur le vu du mandat signé par le juge d’instruction. Il y a là une légère dérogation à la prohibition absolue de l’article 609 du code d’instruction criminelle, que je signale seulement pour mémoire, et pour montrer combien les us et coutumes ont souvent en France plus de force que la loi. A Paris, les choses se passent différemment. Le grand nombre de ces arrestations provisoires a rendu nécessaire la création d’une prison spéciale où les détenus des quatre-vingts postes de police sont concentrés tous les jours et demeurent sous la main de la justice jusqu’à ce qu’il soit statué sur leur sort. Ce lieu de détention encore provisoire s’appelle le dépôt central de la préfecture de police. De toutes les prisons de la Seine, c’est peut-être la moins connue et la plus rarement visitée. C’est cependant la plus curieuse, et il ne sera pas sans intérêt d’y passer quelques instans.


II

Je me suis servi tout à l’heure de cette expression les dessous de la civilisation. Appliquée au dépôt de la préfecture de police, l’expression n’a rien de métaphorique. Le dépôt est bien un dessous, comme on dit en langue de théâtre, puisqu’on a jugé bon de l’aménager dans les substructions du Palais de Justice, sous la très belle et majestueuse façade qui regarde la place Dauphine. Mais de cette majesté les détenus du dépôt sont un peu les victimes, et toute l’installation intérieure de la prison (entre autres détails, les prises d’air et de lumière) a été subordonnée à des exigences architecturales dans lesquelles l’hygiène n’avait rien à voir. L’amour de la symétrie a fait également attribuer au quartier des femmes le même nombre ou à peu près de mètres superficiels qu’au