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et plus exactement, par l’intermédiaire de Théophile Gautier, l’influence de Victor Hugo ? Mais, sans vouloir ici préciser une comparaison qui, comme toutes les comparaisons de ce genre, n’a de valeur ou d’intérêt qu’autant qu’elle demeure un peu vague, ce que Malherbe a fait contre Ronsard, et avec colère, Gautier, lui, l’a fait pour Hugo, avec respect et avec amour. En l’imitant, il l’a expurgé ; il le châtiait en le couronnant de fleurs ; il obligeait le torrent romantique à rentrer dans ses rives ; il en réparait les ravages ; et en en régularisant les conquêtes, il en assurait la durée.

On dit à ce propos, et nous-même nous l’avons rappelé tout à l’heure, sans y souscrire, mais sans y contredire, que Gautier a manqué d’idées : ce n’est toutefois qu’une manière de parler, et sur laquelle il est bon de s’entendre. Non, Gautier n’a point d’idées, cela est vrai, sur les rapports de l’exécutif avec le judiciaire ; il n’en a pas non plus sur la question du libre arbitre ou sur le mystère de la grâce ; il en a moins encore, — et quoi que son gendre ait pu dire de l’omniscience de son beau-père, — sur la variabilité des espèces et sur la conservation de la force. Mais un poète a-t-il besoin d’en avoir ? Et, quand il en a, j’entends sur de pareilles matières, ne lui sont-elles pas plutôt un embarras qu’un secours ? C’est une question que l’on peut poser. On aimerait d’ailleurs que Gautier, pour sa gloire ou son honneur même, eût quelquefois été plus riche de son fonds ; et, beaucoup de choses qu’il ne comprenait guère, il avait le droit de ne pas les comprendre, mais on aimerait qu’il eût évité d’en parler comme il fait, par exemple, dans le Journal de M. de Goncourt. S’il suffit cependant qu’un poète ait ses idées sur son art, nul n’en a eu de plus précises, de plus personnelles, et souvent aussi de plus intolérantes que Théophile Gautier. On en trouvera l’expression, étrangement grossie par la liberté d’une conversation entre hommes, dans ce même Journal de M. de Goncourt ; on la retrouvera, déjà plus décente et plus raisonnable, dans le livre de M. Emile Bergerat ; et Gautier lui-même, enfin, nous l’a donnée dans les deux morceaux qui contiennent toute sa poétique : la Notice sur Charles Baudelaire, écrite en 1868, pour servir d’introduction à l’édition « définitive » des Fleurs du mal, et le rapport, daté de la même année, sur les Progrès de la poésie française depuis 1830. Sous l’abondance, la richesse, l’étrangeté même des métaphores dont il aime à se servir, et qui font sa manière de penser, qu’il faut connaître pour l’entendre et savoir ce qu’il veut dire, les idées de Gautier ne sont pas seulement plus nettes qu’on ne l’a bien voulu dire, elles sont plus profondes. Et, — j’irai jusque-là, — quoique poète aussi lui, je ne sais vraiment si Sainte-Beuve, écrivant ce « rapport, » y eût mis plus de choses. Mais il n’a certainement ni jamais ni nulle part mieux parlé