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ennemis et l’indiscrétion de ses amis. Il n’a pas de confident à qui il se livre tout entier ; il y a des choses qu’il ne peut dire à personne et qu’il ose à peine 8e dire à lui-même. Il se mêle à l’humaine cohue, il affecte de se prêter à tout, il parle librement, avec un séduisant abandon, il a des épanchemens de cœur, et jusque dans le monde il est solitaire et caché. C’est surtout sous le régime parlementaire que l’exercice des grandes vertus politiques devient difficile et périlleux. Les ministres constitutionnels ont affaire à des assemblées qui sont aussi curieuses que des femmes. Elles ont l’humeur interrogeante, elles veulent tout savoir, elles s’imaginent qu’on leur manque quand on leur cache quelque chose, et si on ne leur cachait rien, on ne pourrait rien faire. Ajoutez que les assemblées sont un milieu énervant ; elles ont le goût des spectacles, des incidens dramatiques, de la politique à sensation. L’homme d’état doit garder son sang-froid dans cette atmosphère surchauffée ; à quelque degré qu’il possède le don de la parole, il n’en connaît pas les entraînemens, et il est moins fier de ce qu’il dit que de ce qu’il réussit à ne pas dire.

Ce qui fait sa force, c’est que non-seulement il ne craint point les responsabilités, il les aime, il les recherche ; c’est un lourd fardeau qu’il porte avec plaisir. Il ose.et il n’hésite pas à répondre de tout ce qu’il ose. Il se sent fait pour gouverner ; il ne gouverne pas trop, ce qui serait un défaut grave, mais il ne peut admettre qu’on gouverne à sa place. M. de Holtzendorf parle d’or quand il affirme que la fonction propre des assemblées législatives est de voter les lois et le budget, « qu’elles ne doivent jamais aspirer à gouverner elles-mêmes, qu’elles ont tort d’exiger que le pouvoir exécutif soit absolument subordonné à leur bon plaisir ; que, lorsqu’elles sont bien conseillées, elles se bornent à stimuler le gouvernement en cas de lenteurs ou d’omissions préjudiciables, à réclamer de lui des renseignemens sur des événemens dont il méconnaît l’importance, à contrôler après coup sa conduite et à lui demander compte de ses fautes et de ses maladresses. » — « En d’autres termes, ajoute-t-il, elles ne doivent pas faire de la politique préventive, mais s’en tenir à la critique des faits. La république romaine avait parfaitement compris et appliqué ce principe à l’égard de ses magistrats supérieurs. »

Malheureusement les assemblées modernes se soucient peu de ce qui pouvait se passer dans les beaux temps de la république romaine. Elles cherchent à étendre leurs prérogatives, à empiéter sur le droit d’autrui, et ce n’est pas une petite affaire pour un ministre que de combattre leurs usurpations, de les remettre à leur place. C’est cependant le premier de ses devoirs. Il peut être le plus accommodant des hommes, le plus coulant dans les questions qui n’intéressent que son amour-propre ; il prend aisément son parti de certains procédés et des petites contrariétés, il a l’humeur souple, facile, et laisse croire aux