moyen ? Ce sont eux qui l’ont trouvé, et l’idée, qui n’était qu’un rêve, a pris une forme et un corps ; elle est apparue sur le théâtre du monde, au grand soleil de l’histoire.
Toutes les entreprises sont difficiles. Le politique ne se rebute jamais ; à la fois très indifférent et très passionné, il surmonte aisément ses dégoûts. Il joint à un esprit tranquille, posé, une volonté inquiète et toujours chaude ; les années peuvent passer sur lui sans le refroidir. Il a la vue longue et l’éternelle jeunesse du désir. Il ne brusque la fortune que lorsqu’elle semble s’offrir et que, par ses avances, elle l’invite à la prendre. Il biaise, il préfère les voies lentes et obliques quand elles lui semblent moins dangereuses ; il mesure le temps par grandes journées, et il est sûr de sa patience. Il en est des grands desseins politiques comme de ces pièces de théâtre bien bâties, où les situations n’ont tout leur prix qu’à la condition d’être savamment amenées, et où le poète emploie toutes les ressources de son talent à les préparer de loin. M. de Holtzendorf les compare aux navigations lointaines : « Le navigateur, dit-il, a derrière lui le port d’où il est parti, devant lui le port où il veut se rendre. La force et la direction du vent, les courans de la mer lui dictent l’orientation de sa voilure, de sorte que chaque heure peut y amener un changement. Quand on observe sur une carte marine les courbes, souvent très sinueuses, indiquant la route que des navigateurs de grande expérience ont été forcés de suivre pour arriver à destination, on peut se faire une idée des détours qu’il faut faire parfois pour atteindre un but politique éloigné. » Après la paix de Villafranca, Cavour crut tout perdu, et les bras lui tombèrent. Il se remit bientôt de son accablement ; il se servit de Garibaldi et de ses chimères, et les chemins détournés le menèrent où il voulait aller.
Aussi souple qu’opiniâtre, le vrai politique concilie aussi la grandeur des desseins avec une attention soutenue et diligente aux petites choses. Il n’y a pas pour lui de minuties, et il ne fait aucun cas des à-peu-près. Il a constaté plus d’une fois qu’il suffit d’un détail manqué pour gâter un grand ouvrage. Il sait que tout se tient, que les causes sont des effets et que les effets sont des causes, a que dans la vie politique les germes de maladie ne restent jamais fixés sur le premier objet qu’ils ont infecté, qu’ils sont contagieux de leur nature ; qu’inversement, toutes les fois que le corps de l’état s’est fortifié en un point, les heureuses conséquences du traitement se font sentir ailleurs. » On a dit que le propre du génie philosophique est d’apercevoir les concrets dans les abstraits, les abstraits dans les concrets. Le propre de l’homme d’état est de découvrir le général dans le particulier, le particulier dans le général, l’avenir dans le présent, de tout rapporter à son idée et de tout voir dans l’ensemble. Comme l’araignée, il a tissé laborieusement sa toile fil après fil, et, immobile au