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sur nous ; une classe entière de Français était proscrite, et en les massacrait dans le Midi ; l’industrie et le commerce étaient ruinés ; les pluies diluviennes de 1816 préparaient la disette de 1817 ; notre seul réconfort, au milieu de tant de maux et de périls, c’était le souverain qui pouvait nous reprocher l’incendie de sa capitale !


Et vous croyez peut-être que les Français, écrivait Richelieu à Langeron, ressentent uniquement l’horreur de cette situation ? Point du tout ! ils sont occupés de leurs querelles de parti, de faire ôter une place à celui-ci, qui n’est pas à la hauteur, pour la faire donner à cet autre. Ils se déchirent les uns les autres ; la violence de leurs passions est inextinguible ; ils me rappellent les Grecs du bas-empire… Les salons de Paris sont des arènes où l’on est toujours prêt à se prendre par la tête pour une nuance d’opinion. Aussi je n’y mets pas le pied, et d’ailleurs je serais mal reçu dans un grand nombre, car il faut que vous sachiez que je suis une espèce de jacobin, parce que je ne partage pas les exagérations et les folies.


Richelieu n’était donc pas un ultra ; mais il n’était point un libéral. Il avait des doutes sérieux « sur le bien à espérer en France du régime représentatif et des assemblées délibérantes. » La liberté de la presse, c’est-à-dire de ce qu’il appelle « les pamphlets et les diffamations périodiques ou semi-périodiques, » lui semblait aussi dangereuse, et l’on doit reconnaître que les excès de la presse royaliste justifiaient ses répugnances. Il est visible qu’il apportait d’Orient des idées particulières en matière de gouvernement. Pour lui, le gage de salut, ce n’était point la charte ; c’était uniquement le roi, la dynastie, l’institution royale, seul point fixe, seule unité visible de la France. Son administration d’Odessa faisait qu’il croyait aux hommes, non aux institutions. Il était, au fond, un partisan du despotisme éclairé, tel que Voltaire l’avait compris, tel que lui-même l’avait pratiqué sur la Mer-Noire. Et quelle différence avec sa vie d’ici et celle de là-bas, où il n’avait à compter ni avec les haines de parti, ni avec les compétitions des coteries, ni avec les criailleries des assemblées, ni avec les journaux ; où chaque heure était bien employée et où chaque effort était fécond ; où il ne rencontrait que des fronts inclinés et des visages reconnaissans ; où il pouvait se promener tranquillement parmi ses créations comme un bon propriétaire dans son parc !


Si vous voyiez la vie que je mène, écrit-il à Langeron, vous en auriez réellement pitié. Ce n’est pas le travail qui m’effraie, mais à toute privation et aux souffrances il faut un dédommagement. A Odessa, un nouveau village, une nouvelle plantation, un arbre me délectait le