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forteresse d’Ismaïl, témoin de ses premiers exploits. Là, il fut arrêté par une fièvre dangereuse, dut céder le commandement à Langeron et revint malade à Odessa. En 1811, il put reprendre un rôle actif, mais dans la direction de l’est. Il passa le Kouban, conquit le port tcherkesse d’Anapa, occupa le port turc de Soudjouk-Kalé, et guerroya pendant une vingtaine de jours contre les tribus du Caucase, soulevées à la voix du sultan. En 1812, il préparait un coup de main dirigé contre la capitale même de l’empire turc.

En février 1811, Richelieu adressait une lettre découragée à sa sœur, Mme de Montcalm : « Pauvre Odessa ! pauvre pays des bords de la Mer-Noire, où je me flattais d’attacher mon nom d’une manière glorieuse et durable ! je crains bien qu’ils ne retombent dans la barbarie dont ils ne faisaient que de sortir. Quelle chimère aussi était la mienne de vouloir édifier dans un siècle de ruines et de destruction, de vouloir fonder la prospérité d’un pays quand presque tous les autres sont le théâtre de calamités qui, je le crains, ne tarderont guère à nous atteindre ! Il est plus qu’évident que la Providence l’ordonne ainsi, et qu’il ne reste plus qu’à se soumettre, gémir ou se taire. »

Le désir de paix était cependant assez vif de part et d’autre. La guerre épuisait également les deux empires. En 1809 déjà, Roumantsof, ministre des affaires étrangères, écrivait à Richelieu à propos d’un grand dignitaire turc qui s’était réfugié sur le territoire russe : « Sa Majesté, qui se persuade que c’est par ordre de son maître que ce transfuge a cherché asile en son empire, me charge de vous demander s’il ne serait pas possible d’employer l’ex-capitan à préparer la paix. » Ce qui retardait celle-ci, c’est que les Russes entendaient s’annexer la totalité des deux provinces roumaines et certains points sur le littoral caucasien ; or, on sait qu’en 1812, à la paix de Bucharest, ils durent se contenter de la Bessarabie, c’est-à-dire d’une très petite partie de la Moldavie. Richelieu se désespérait de voir s’éterniser le conflit oriental, non-seulement parce qu’il avait à cœur les intérêts d’Odessa, mais parce qu’il prévoyait dans quel embarras mortel allait se trouver la Russie, si une guerre française venait s’ajouter à la guerre turque. Il fallait l’ardeur de ses convictions et aussi la cordialité de ses rapports avec Alexandre pour qu’il osât insister auprès de celui-ci sur des points aussi délicats :


Les rapports continuels que nous avons avec Constantinople, écrivait-il, me confirment dans l’opinion où j’étais que les Turcs ne consentiront jamais à la paix aux conditions exigées par nous. C’est un fait dont il n’est plus permis de douter, non plus que de la prolongation indéfinie d’une guerre qui occupe six divisions et coûte à Votre