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les Zaporogues, et ayant mené comme eux la vie cosaque ; mais déjà beaucoup plus civilisés, et qui emmenaient avec eux leurs familles. Il plaça là-bas encore un Français, le comte Louis de Rochechouart, son parent, qui réorganisa militairement la colonie, enseigna aux Cosaques la nouvelle tactique des troupes à cheval, leur donna un uniforme, mit sur pied dix régimens de cavalerie, dix d’infanterie, une artillerie volante, construisit trente redoutes pour tenir en respect les Tcherkesses. Richelieu envoya leurs officiers se former ou se perfectionner à Pétersbourg, et, pour introduire parmi ces colons militaires le point d’honneur et l’émulation, obtint qu’ils recrutassent un escadron de Cosaques pour la garde impériale. Il remit de l’ordre dans leurs finances, leur assura une justice exacte et impartiale, établit chez eux des écoles, un hôpital, un haras, une bergerie modèle de mérinos, une fabrique pour les draps d’uniformes. Il mit fin à l’arbitraire des chefs, réforma les mœurs, vit se multiplier les mariages et les naissances. Il créa un centre urbain leur capitale d’Ekatérinodar (présent de Catherine.) En un mot, d’une horde de bandits vicieux et nuisibles, il fit sortir une colonie florissante de quarante mille âmes et des troupes qui comptèrent parmi les meilleures de l’empire.

Avant de recommencer contre les Tcherkesses une guerre de dévastation, il essaya de leur faire apprécier les bienfaits de la paix et du commerce, et se rendit à la limite de leurs campemens : même il manqua d’être pris dans une embuscade que lui dressèrent les chefs, à la suite d’une entrevue qu’il avait eue avec eux. « Sans un Cosaque qui les découvrit à temps, écrit-il à Mme de Montcalm, je tombais au beau milieu. Les cent cinquante Cosaques qui composaient mon escorte, réunis à ceux du poste voisin, tombèrent si vigoureusement sur les cinq cents brigands qu’ils les défirent, en prirent un grand nombre et m’amenèrent à l’instant plusieurs prisonniers, entre autres le chef de la bande, prince de la plus grande naissance, de qui j’ai su tout le projet mignon de ces messieurs, qui était de tailler en pièces tout ce qui m’accompagnait et de ne garder en vie que moi seul, en m’emmenant dans les montagnes. Il y avait même un cheval de main préparé pour m’y conduire plus commodément… Vous pensez que je la leur garde bonne, et que cette gentillesse ne leur passera pas ainsi. Cet hiver, quand la neige qui couvre leurs montagnes ne leur permettra pas d’y retirer leurs femmes et leurs enfans, non plus que leurs bestiaux, j’irai leur rendre visite. » Cependant il obtint quelques résultats : les chefs des tribus les moins récalcitrantes ou les plus exposées à ses représailles lui confièrent leurs enfans pour qu’il leur fit donner à Odessa une éducation européenne. Il créa, comme naguère