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absolument, on n’aurait pas pu s’y prendre autrement, et, pour peu que cela dure, on y parviendra ; car la pauvreté et le malheur se supportent, mais l’humiliation ne se supporte pas… J’avais cru que je jouirais des faveurs qui m’avaient été accordées à mon dernier voyage, les petites entrées étant une grâce qui, une fois accordée, ne pouvait, jusqu’à présent, plus être ôtée. » Vainement s’est-il adressé à Esterhazy, à Markof ; ceux-ci l’ont renvoyé au favori du jour, Platon Zoubof. Encore un type étrange que ce dernier amant de Catherine !


J’ai toujours, continue le duc, trouvé sa porte fermée, et je n’ai pu parvenir à le voir qu’à sa toilette du matin, cérémonie la plus indécente dont il soit possible de se faire idée. On arrive à dix heures pour attendre l’heure à laquelle il se frisera, ce qui n’est jamais fixé. La seule fois que j’y ai été, j’ai attendu jusqu’à une heure, qu’on nous a fait entrer. Il était assis vis-à-vis d’une table de toilette et lisait des gazettes ; nous l’avons tous salué, sans qu’il nous rendit notre salut. On lui a apporté des papiers à signer, et, au bout de trois quarts d’heure, je me suis approché de lui. Il m’a dit quelques mots ; je lui ai rappelé notre affaire, dont M. de Markof avait eu la bonté de lui parler le matin. Il ne m’a pas répondu un seul motet a appelé une autre personne. Peu accoutumé à cette manière, je gagnai la porte et m’enfuis un moment après, un peu honteux peut-être d’une impolitesse aussi grande… M. Esterhazy prétend que la manière dont on me traite est une façon de faire voir aux Français qu’ils n’ont rien à espérer et de dégoûter tous ceux qui y sont, ainsi que ceux qui pourraient avoir envie d’y venir… Vous sentez, mon cher ambassadeur, combien il est désagréable d’aller mendier ainsi son pain de porte en porte. J’aimerais mieux le gagner comme cadet, à la pointe de mon épée, que de l’obtenir comme colonel de cette manière.


Voilà où en était réduit l’arrière-neveu du grand cardinal et le petit-fils du maréchal ! N’aurait-il pas mieux vain subir en France la loi de l’égalité que de souffrir à l’étranger de si cruels dédains ?

C’est dans leurs garnisons de Volhynie que la mort de Catherine M et l’avènement de Paul Ier surprirent Richelieu et Langeron. Le nouveau prince témoigna d’abord quelque faveur au jeune duc : il le nomma général-major et le fit colonel des cuirassiers de l’empereur ; plus tard même, en 1799, il l’éleva au grade de lieutenant-général. Mais combien le service était devenu plus dur sous le fantasque souverain ! Paul Ier détestait ce régiment de cuirassiers, « qu’il croyait avoir été rempli des espions dont sa mère l’entourait, » et s’en prenait au nouveau colonel, qui n’en pouvait mais. Richelieu était bien un militaire ; mais, dit Langeron, il n’était pas