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le départ de la famille royale. Il fut « navré de douleur de n’avoir pas été trouvé digne de cette confiance que son attachement avait droit d’exiger. » Cependant, dès qu’il apprit le retour de Louis XVI, il reprit son service auprès de lui. On ne sait encore qu’imparfaitement les raisons qui, en août 1791, le décidèrent à repartir pour la Russie. Estimait-il qu’il n’y avait plus rien à faire pour le salut de la monarchie et avait-il deviné la faiblesse incurable du roi et l’incapacité de son entourage ? Ou bien la reconnaissance pour les faveurs dont l’avait comblé Catherine II, le désir de se distinguer sur un théâtre où ses grandes facultés trouveraient leur emploi, ou enfin un pressentiment obscur de ses destinées, l’entraînaient-ils vers l’Orient ? Ce qu’il y a de certain, c’est que, dans la séance de l’assemblée nationale du 27 juillet 1791, il fut donné lecture d’une « lettre d’Armand Richelieu (il n’est pas question de duc), qui, quoique Français, est en ce moment au service de Russie ; il demande un passeport pour aller remplir ses engagemens ; il promet de revenir aussitôt la guerre finie, et il désire que les connaissances militaires qu’il y acquerra le mettent à portée de concourir un jour à la gloire de sa patrie. » L’assemblée accorda le passeport demandé, en ordonnant « que le motif en serait exprimé dans son procès-verbal. » Les grandes propriétés que Richelieu possédait en France, le souci du bien-être de sa femme et de sa belle-mère, l’intérêt des créanciers de son père, tout lui faisait un devoir de ne pas quitter la France sans avoir pris cette garantie. Il est important pour nous de constater que ce n’est point en qualité d’émigré qu’il a passé la frontière, mais bien avec l’autorisation formelle de l’assemblée.

C’est dans l’hiver de 1791 à 1792 que se placent son premier séjour à Saint-Pétersbourg, sa présentation à Catherine par Nassau-Siegen, un demi-Français, amiral de la flotte russe, enfin sa grande faveur auprès de l’impératrice, qui lui accorda le grade de colonel et l’admit dans ses réunions intimes de l’Ermitage, grâce si enviée et si rare que, comme le constate Langeron, « on n’y avait jamais vu quelqu’un du grade ni de l’âge de M. de Richelieu. »

Cependant cette sorte de pacte que le passeport de juillet 1791 avait établi entre Richelieu et l’assemblée de France ne fut guère observé de part et d’autre. Langeron nous dit que l’impératrice chargea Richelieu de porter au prince de Condé 60,000 ducats pour l’entretien du corps d’émigrés qu’on avait rassemblé dans le Brisgau. Puis il fit avec ce corps et avec l’armée autrichienne, en qualité d’officier de l’état-major russe, les campagnes de 1792, 1793 et 1794. Il assista aux sièges de Valenciennes, de Condé, du Quesnoy, de Dunkerque, de Maubeuge, etc. Il paya de sa personne, dirigea les travaux du génie devant les places, chargea les colonnes républicaines à la tête des troupes autrichiennes. Malgré le titre