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galerie de portraits : l’archevêque-électeur de Mayence, « d’un esprit rétréci et d’un orgueil précisément en raison inverse de sa naissance, » distingué surtout « par la foule de valets grands et petits qu’il traîne à sa suite, » n’ayant pas moins de mille quatre cents personnes dans son cortège, « y compris Mlle de Gudenhofen, nouvellement créée comtesse, et qui fait chez lui les fonctions de premier ministre ; » l’archevêque-électeur de Cologne, « dont, la politesse, surtout à l’égard des Français, est à peu près nulle, » mais qui ne manque pas d’esprit et auquel on peut même reprocher de « trop sacrifier au plaisir de le faire briller ; » l’archevêque-électeur de Trêves, dont Richelieu affirme qu’il n’a « jamais vu de prince plus poli, plus affable et surtout doué d’un tact plus fin ; » le landgrave de Hesse, qui fait la traite de ses soldats, s’imagine, à force de pédantisme militaire, copier le grand Frédéric, et, dans ses manœuvres, de parade, se donne un mouvement prodigieux, croyant que toute l’Europe a les yeux sur lui ; » enfin, « cette foule de princes, comtes et barons d’empire, tous souverains comme le roi de France l’était autrefois, régnant sur deux villages, et la plupart sur une multitude de quadrupèdes ordinairement en beaucoup plus grand nombre que leurs sujets, et parmi lesquels ou pourrait leur assigner une place à beaucoup plus juste titre que parmi les têtes couronnées. » Richelieu eut la bonne fortune d’assister aux fêtes du couronnement de Léopold à Francfort, et son récit complète heureusement ceux que Goethe, Lang et Forster nous ont laissés, sur ces solennités impériales. Même en Allemagne, Richelieu retrouve l’écho de nos divisions politiques : il entend parler des patriotes et il entend discourir les émigrés. Il est surtout affecté de la violence et de la légèreté de ces derniers :


Je désirerais bien vivement, écrit-il, de pouvoir persuader à cette multitude de Français qu’à mon grand étonnement et à celui de tous les gens qui les entendaient solliciter, prier, pour engager les princes à se liguer et à envahir leur patrie, que ce serait, pour eux-mêmes un très fâcheux et très malheureux événement. En effet, ils connaissent assez l’esprit de vertige qui règne maintenant en France pour savoir qu’au premier bruit de l’entrée des troupes allemandes, la reine, peut-être le roi, et surtout tout ce qui, dans, chaque province, aurait le vernis d’aristocratie, noble ou ecclésiastique, serait impitoyablement massacré… Je puis, sans hasarder la vérité, affirmer qu’une des raisons pour lesquelles les Français ont été mal reçus à Francfort, c’est la véhémence de leurs propos et leurs fréquentes et instantes sollicitations pour qu’il se forme une ligue contre la France.


Ainsi, dans ces simples notes de voyage, on voit déjà se dessiner,