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culière, comme disaient nos ancêtres. C’était là le progrès organique, la marche régulière et naturelle ; partout et toujours, dans ses créations successives, l’esprit humain va du simple au composé. C’est le premier Homère, celui de l’Iliade, qu’il s’agit de dégager des ombres qu’a épaissies autour de lui la critique assembleuse de nuages, pour prendre une expression homérique ; une fois celui-ci retrouvé, le second, celui de l’Odyssée, suit la fortune de son devancier ; la statue reparaît, en pleine lumière, debout sur son piédestal.


II

On l’a déjà deviné : nous sommes de ceux qui croient à l’existence d’Homère ; mais nous sommes arrivé à cette conviction par une voie un peu différente de celle qu’ont suivie ceux que l’on peut appeler, comme on dit aujourd’hui, les conservateurs libéraux ; nous donnerons ce titre aux critiques qui, tout en tenant grand compte des observations, souvent si fines et si pénétrantes, de Wolf et de ses continuateurs, ne peuvent se décider à admettre que les vrais auteurs de l’Iliade et de l’Odyssée soient Onomacrite d’Athènes, Zopyre d’Héraclée et Orphée de Crotone. Ce qui surtout a frappé les défenseurs de la tradition, ce que plusieurs d’entre eux ont fait ressortir avec beaucoup de force et de talent, c’est la qualité partout pareille et la couleur uniforme de la langue ; c’est, dans la description des mœurs et de l’état social, dans l’expression des sentimens et des idées, cette suite et cette cohérence parfaites qui ne sauraient se rencontrer que dans un ouvrage où tout est bien d’une seule et même venue ; c’est la constance avec laquelle les caractères se soutiennent jusqu’au bout, tels qu’ils se sont annoncés et posés tout d’abord ; c’est enfin et surtout l’unité de la composition, unité que l’on s’attache à rendre sensible en prouvant que toutes les péripéties de l’action s’expliquent par la colère d’Achille, par « cette colère funeste » qui, comme le disent les premiers vers du poème, « causa aux Grecs des milliers de maux, jeta chez Hadès beaucoup d’âmes vaillantes de héros, et fit de leurs corps la pâture des chiens et des oiseaux de proie ; ainsi s’accomplissait la volonté de Zeus. »

La critique française, qui répugne d’instinct aux conceptions vagues et qui aime les idées claires, a été en général, dans ce siècle, plutôt portée à réagir contre les systèmes qui sont nés des Prolégomènes de Wolf. Sans fermer les yeux ni les oreilles à ce qu’il y avait de juste dans les observations des novateurs, sans méconnaître les différences profondes qui séparent l’Iliade de l’Énéide, par exemple, ou des épopées modernes, elle a défendu