Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 84.djvu/59

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

introduisit le plus heureux des enseignemens, cachant la vérité sous le mensonge. Et pour frapper davantage, pour mieux conduire les esprits, il leur conta que les dieux habitent aux lieux d’où viennent aux hommes les plus grandes terreurs et les plus grands secours de leur vie malheureuse ; aux lieux d’où s’échappent les feux de l’éclair et les terribles retentissemens de la foudre ; où, d’un autre côté, brille la voûte étoilée du ciel, œuvre admirable du temps, ce sage ouvrier, et d’où part la lumière brillante des astres, d’où la pluie pénétrante descend au sein de la terre. C’est ainsi, je pense, que quelque sage parvint à persuader les hommes de l’existence des dieux. »

Athènes eut l’honneur et le triste privilège de devenir le foyer de l’esprit sophistique, dont on retrouve les traces dans les mœurs publiques de quelques-uns de ses citoyens et jusque dans sa littérature. Les tragédies d’Euripide nous en ont déjà fourni la preuve[1] ; la vie d’Alcibiade en est une autre. Ce personnage fut en effet un sophiste politique, brillant rhéteur en actions, comme les autres l’étaient en paroles ; toujours prêt au oui et au non ; aujourd’hui avec Athènes, demain avec Sparte, Argos ou Tissapherne, indifférent, en un mot, sur ces questions de patrie et de vertu qui passionnaient si fortement les contemporains de Miltiade.

Contre ces doctrines qui détachaient les citoyens de la patrie et jetaient un reflet fâcheux sur les œuvres d’un aussi beau génie qu’Euripide, des protestations s’élevèrent. Il y en eut deux fameuses, l’une au nom du passé, l’autre au nom de l’avenir. Je parle d’Aristophane et de Socrate.

Aristophane combattit Euripide, Cléon, les sophistes et Socrate, en un mot l’esprit nouveau, bon ou mauvais, sans distinction. On a vu déjà que l’Athènes de Périclès et sa démocratie belliqueuse n’avaient pas les sympathies du poète satirique. Dans les Grenouilles, dont l’objet est de montrer combien Euripide est inférieur à Eschyle pour la noblesse des personnages et pour la convenance du style, qui est le même dans la bouche de tous, rois ou esclaves, Aristophane fait dire à Euripide lui-même : « Par Apollon ! en les faisant parler ainsi, je leur prêtais un air plus démocratique ! »

Mais ce furent les sophistes qu’il attaqua le plus violemment dans la personne de Socrate, ne distinguant point en lui l’homme sensé, caché peut-être sous trop d’habiletés de parole. La pièce des Nuées est un pamphlet étincelant d’esprit, mordant, qui porte juste en pleine sophistique, seulement il faudrait substituer le nom d’un de ces saltimbanques en paroles dont nous avons parlé à

  1. Voyez, dans la Revue du 1er octobre 1886, l’étude sur Euripide.