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elles sont tout simplement une coalition ou elles ne sont qu’un puéril expédient d’occasion ! On veut, dit-on, maintenir l’inviolabilité du droit international et assurer le respect des traités. C’est fort bien. Voici cependant une circonstance curieuse ! Il y a un point particulier en Europe où un traité signé avec quelque solennité est manifestement en suspens : c’est la Bulgarie. Là, à Sofia, à Philippopoli, il ne reste plus rien du traité de Berlin, il ne reste même rien d’un ordre quelconque. Organisation publique, conditions de souveraineté et de suzeraineté, régime légal des deux provinces, de la Bulgarie et de la Roumélie, tout, depuis plus de deux ans, est en confusion. Chose bizarre pourtant ! cette triple alliance faite, dit-on, pour assurer le respect des traités, paraît jouer ici un rôle un peu étonnant. M. Crispi encourage les Bulgares dans leurs résolutions d’indépendance, et leur propose presque sa protection, — en leur demandant leur reconnaissance ! L’Autriche, sans aller jusqu’à reconnaître la régularité de tout ce qui s’est fait en Bulgarie et la légalité de la situation du prince Ferdinand de Cobourg, a pour le prince des préférences et des sympathies qu’elle ne déguise même pas. L’Angleterre ne demanderait pas mieux que de soutenir tout ce qui aggraverait et rendrait irréparable la scission entre les Bulgares et la Russie. M. de Bismarck jusqu’ici ne dit rien. Voilà un traité bien défendu par des diplomates réunis, dit-on, pour garantir le respect des conventions !

Comment sortira-t-on de là ? On n’en sortira pas vraisemblablement sans passer par bien des péripéties et des incidens imprévus, peut-être même sans qu’il y ait des révolutions nouvelles dans les rapports des gouvernemens. La fortune diplomatique est changeante. L’Italie s’est montrée fort glorieuse, et son premier ministre s’est bâté de triompher pour elle, le jour où elle a paru prendre dans l’ancienne triple alliance, — l’alliance des trois empereurs, — la place laissée vide par la Russie. Est-elle bien sûre qu’il n’y aura pas pour elle quelque revirement, quelque mécompte, que M. de Bismarck, avec sa facilité d’évolution, ne se sera pas servi de l’Italie pour quelque calcul du moment, comme il l’a déjà fait plus d’une fois ? Il y a des Italiens, si nous ne nous trompons, qui ont eu déjà des doutes, qui ont flairé quelque subterfuge de haute diplomatie. Il y a quelques semaines, lorsque M. Crispi s’est rendu, de son propre mouvement ou sur un geste encourageant, à Friedrichsruhe, le moment était unique : l’empereur Alexandre III, qui était à Copenhague, venait de laisser passer l’occasion, qui lui était offerte, de visiter l’empereur Guillaume à Stettin, et il paraissait décidé à ne pas toucher le territoire de l’Allemagne à son retour en Russie. M. de Bismarck n’était peut-être pas fâché de montrer au tsar qu’il n’avait que le choix des alliés : il avait l’Italie toute prête pour jouer son jeu ! Que s’est-il passé depuis ? On a eu le temps de réfléchir. L’empereur Alexandre, retenu par une maladie de ses