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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 novembre.

Où donc s’arrêtera ce torrent d’ignominies qui passe à travers nos affaires et menace de tout entraîner ? Quand donc en aura-t-on fini avec les divulgations scandaleuses, les délations, les enquêtes, les contre-enquêtes, les tripotages, les dégradations et les confusions ? Le fait est qu’à voir comment tout marche et se complique, on n’est peut-être pas si près d’en finir, d’échapper à cette tyrannie des indignités du jour. C’est une vraie fatalité : plus on va, plus on semble se perdre dans cette vaste et vulgaire anarchie où de proche en proche tout est compromis, où il ne reste rien d’intact, où l’on ne sait plus comment se ressaisir et retrouver une direction, un point d’appui. Des affaires sérieuses de la France, des intérêts les plus pressans du pays, on ne s’en occupe même pas : on n’a plus le temps, la liberté et le sang-froid. Depuis qu’elles sont réunies, les chambres ont à peine touché d’une main négligente, d’un esprit distrait, à quelques lois mal bâclées, et la conversion de la dette, qu’elles ont expédiée sans y regarder de trop près, a failli sombrer entre deux interpellations. Tout cède à l’obsession du moment ; tout est à la grande affaire, aux trafics de décorations, aux abus d’influence, au bruit croissant des révélations accusatrices, à la guerre engagée contre M. Wilson, aux coups de théâtre d’audience, aux péripéties d’un procès de police correctionnelle qui, en s’étendant par degrés, finit par mettre en cause les institutions et les hommes, par devenir le procès du régime tout entier. C’est le torrent déchaîné qui grossit et se précipite dans son cours troublé, qu’on ne peut plus ou qu’on ne sait plus arrêter, qu’on finit par abandonner à lui-même, sans savoir ce qu’il emportera sur son passage !