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Belem, on compte un peu plus de cinq milles ; de la tour de Belem aux quais de la ville, moins de quatre. Contenu, par les hautes falaises de la rive gauche, le fleuve se resserre, dès qu’on a dépassé Belem : il s’épanouit, au contraire, à la hauteur de Lisbonne, passant soudain des dimensions d’un canal large d’un mille à peine à celles d’un bassin d’une capacité de 11,000 hectares.

Quant aux défenses militaires, elles étaient formidables ou méprisables, suivant les dépositions auxquelles on prêtait l’oreille. Les uns évaluaient à 300 bouches à feu l’armement des forts et des batteries échelonnés sur la. rive droite ; ils pensaient que la rive gauche où s’élevait la vieille tour, — Torre-Velha, — ne devait pas être moins bien pourvue d’ouvrages et d’artillerie. « Le général Junot, disaient-ils, pendant l’occupation française, s’était hâté de multiplier, avec le concours de ses officiers du génie, d’artillerie, de marine, les moyens de défense, déjà très grands, du Tage. Mouillée devant Lisbonne, l’escadre serait dominée de tous côtés, et elle aurait une armée de 12,000 hommes au moins en présence. Cette armée n’était pas à dédaigner : elle avait été organisée, exercée, depuis 1806, par des officiers anglais ; elle avait fait avec distinction toutes les campagnes de la Péninsule sous le duc de Wellington. »

A en croire d’autres témoignages, cet appareil, si redoutable en apparence, n’était que pur mirage. « Il serait déplacé, écrivait un colonel portugais réfugié en France, de parler de Cascaës, ville de guerre à 5 lieues de Lisbonne, située sur le revers méridional de la montagne de Rocca, ainsi que des petits forts et des redoutes placés le long du rivage, depuis le cap du même nom jusqu’à Saint-Julien. C’est à Saint-Julien seulement que commence la défense de Lisbonne. Si l’on considère l’emplacement et la mauvaise disposition de toutes les fortifications qui défendent les deux rives du Tage, leur élévation au-dessus de la mer, les défauts de leur tracé, la hauteur énorme des profils, la grandeur extraordinaire des embrasures, la mauvaise construction des affûts, la vétusté des canons, presque tous en fer, et surtout le peu de dévoûment des soldats d’artillerie et du génie, privés de leurs meilleurs officiers, je suis tenté de croire que les seules difficultés réelles pour forcer l’entrée du Tage proviendront des bancs de sable et des rochers qui en barrent l’ouverture. »

Entre ces deux opinions, probablement extrêmes l’une et l’autre, l’amiral Roussin se sentait incliné à donner sa confiance à celle qui flattait le plus son courage. La crainte des batteries, quel qu’en pût être le nombre et la force, ne l’arrêterait pas ; il ne s’inquiétait que des obstacles naturels. En revanche, il s’en inquiétait beaucoup, et