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satisfaits et des mécontens, des riches et des pauvres, des enfans gâtés et des déshérités. Ne cherchons pas ailleurs, de quelque beau nom qu’on les décore, le secret des aspirations qui troublent de temps à autre les situations acquises, ne prétendant pas au fond autre chose que substituer une couche sociale à une autre. On ne peut toutefois méconnaître la profondeur de la leçon que Joseph de Maistre donnait du même coup aux gouvernans et aux gouvernés : « Je voudrais, disait-il, pouvoir me placer entre les peuples et les rois ; dire aux peuples : les abus valent mieux que les révolutions ; et aux rois : les abus mènent aux révolutions. »

il existait de nombreux abus dans les vieilles monarchies. Je n’ai pas, ce me semble, à le prouver ; la chose est généralement admise. La période de réaction qui suivit la chute de l’empire rendit, par une pente naturelle, ces abus à la fois plus audacieux et plus crians : l’esprit de discussion qu’avait éveillé la révolution française les rendit plus difficiles à supporter. Au commencement de l’année 1820, l’Espagne se soulève ; au mois de septembre, le Portugal réclame à son tour une constitution. Chassé du Brésil par une insurrection inattendue, le roi Jean VI vient, sur ces entrefaites, reprendre, le 3 juillet 1821, le gouvernement de ses états de terre ferme. Quel chemin ont fait les idées depuis le jour où le plus débonnaire des souverains évacuait Lisbonne pour y céder la place à l’armée de Junot ! Ce ne sont plus les Portugais du 29 novembre 1806 que l’héritier de la maison de Bragance retrouve ; c’est tout un peuple en proie aux passions jusqu’alors contenues, qui, pendant quinze années, ont couvé sous la cendre. Le mot de l’empereur François à la diète de Hongrie est plus vrai que jamais : Totus mundus stulticital et vult habere constitutiones novas. L’Europe en démence ne rôve qu’institutions nouvelles. Le bon Jean VI s’accommoderait assez volontiers d’un régime qui appelle des chambres, des ministres, au partage de la responsabilité royale. Il n’a pas, comme tant d’autres souverains, la fureur de gouverner par lui-même ; il se contentera fort bien de régner.

La fierté de la reine ne se soumet pas aussi aisément ; la reine s’indigne à la seule pensée d’un compromis, qui n’est à ses yeux qu’une abdication déguisée. Jean VI a deux fils. Le ciel les a faits d’humeur très différente. L’un d’eux, l’aîné, a l’esprit libéral : il est resté au Brésil, où il règne, depuis le départ de son père, sous le nom de don Pedro Ier. Le second, don Miguel, a gardé pour sa part tous les instincts despotiques de la race. Il aspire ouvertement, sans vouloir prendre la peine de s’en cacher, au trône de Portugal, quand la mort de son père rendra ce trône vacant. Le 10 mars 1826, Jean VI trouve enfin dans la tombe le repos qu’il n’a jamais