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étaient si défectueuses ! Nommé au commandement de la corvette la Bayadère, le capitaine Roussin fut chargé de les rectifier. Il partit de Rochefort le 20 janvier 1817. L’aviso le Lévrier, commandé par l’enseigne de vaisseau Legoarant, l’accompagnait ; un ingénieur hydrographe, M. de Givry, dépositaire des traditions encore respectées aujourd’hui de M. Beautemps-Beaupré, devait lui prêter le secours de ses connaissances techniques.

Le 17 août, la Bayadère rentrait au port. Au début de l’année 1818, elle reprenait la mer pour mener à bonne fin le travail ébauché dans une première campagne. « J’ai rendu compte au roi, écrivait au commandant de la Bayadère le comte Molé (impassible exécuteur de la rigoureuse épuration qui suivit le naufrage de la Méduse), des deux campagnes successives dans lesquelles vous avez continué jusqu’aux îles de Los les reconnaissances entreprises par le chevalier de Borda en 1776. Ce savant navigateur ne les avait pas prolongées au-delà du cap Bojador. J’ai particulièrement insisté sur les difficultés que présentait l’archipel des Bissagos. L’intrépidité avec laquelle vous avez affronté les dangers d’une pareille expédition, la prudence dont vous avez fait preuve en y échappant et l’infatigable activité qui vous a conduit aux heureux résultats que vous avez obtenus, ont paru au roi dignes des plus grands éloges. Sa Majesté m’a chargé de vous en exprimer sa satisfaction. » Un ministre de Louis XVI n’aurait pas mieux dit. L’hydrographie n’a plus guère de mystères : elle n’en demeure pas moins un des exercices les plus salutaires du marin. C’est par elle qu’on apprend à fixer dans sa mémoire la configuration et le gisement des terres, les alignements qui conduisent le navire, comme si on le plaçait sur un rail, à travers le labyrinthe des aiguilles de granite, des longues battures de roche et des sournoises surprises des bancs de sable.

Le grand titre hydrographique de l’amiral Roussin n’est pas l’exploration à laquelle le comte Molé rendait si justement hommage ; le pilote du Brésil, magnifique levé de 900 lieues de côtes à peu près inconnues, gigantesque travail accompli sur un navire à voiles de l’année 1810 à l’année 1821, assigne au commandant de la Bayadère un rang bien plus exceptionnel encore parmi les officiers qui se sont voués à ces utiles et périlleux travaux. S’il ne s’agissait que d’un officier ordinaire, je pourrais insister davantage : pour un homme qui a sa place marquée aux pages les plus honorables de notre histoire, de pareils services se perdent dans le nombre. On aurait sans doute mauvaise grâce à les passer sous silence ; ce n’est pourtant pas l’hydrographe qui sauvera la mémoire de l’amiral Roussin de l’oubli ; ce n’est pas même le diplomate habile et prévoyant :