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profane. Placer la philosophie à cette hauteur, est-ce la surfaire ? Est-ce lui demander plus qu’elle ne peut donner ? Est-ce se méprendre sur sa vraie fonction à l’égard des sciences, et même à l’égard des sociétés ? S’il pouvait subsister en ceci le moindre doute, il suffirait, pour le dissiper, de recourir au passé et de voir la place que la philosophie y a toujours remplie. La voix des siècles nous répond et nous prouve que la philosophie est apparue à nos ancêtres les plus éclairés telle que nous la concevons à notre tour. C’est à la Grèce d’abord de nous dire ce qu’elle en a pensé. La Grèce est le peuple philosophique par excellence. Dans les conditions où elle a vécu, la philosophie lui a tenu lieu de religion, à côté et au-dessus de la mythologie populaire.

Pythagore, Platon, Aristote, peuvent nous sembler bien anciens, peut-être même bien surannés ; mais la vérité ne vieillit pas ; et puisque ces puissans esprits l’ont découverte, elle est à notre usage aussi bien qu’au leur. Qu’importe si les œuvres de Pythagore ne sont pas parvenues jusqu’à nous ? N’est-ce pas lui qui a inventé ce noble mot de philosophie, où sont contenues tant de choses ? En faut-il davantage pour signaler celui qui le prononça le premier à l’attention et à la gratitude de ses successeurs ? Selon Pythagore, toutes les occupations des hommes en société peuvent se ranger sous trois classes : ou les hommes songent à leurs intérêts, ou ils se passionnent pour la gloire et le bruit qu’elle fait, ou enfin ils se contentent de contempler le spectacle magnifique de l’univers, sans lui rien demander que de le comprendre ; a car rien n’est plus beau que la vue du ciel et des astres qui s’y meuvent, pourvu qu’en admirant l’ordre qui les régit on remonte à leur principe, que la raison seule peut concevoir. » Ces contemplateurs de l’univers, ce sont les philosophes, les amis de la sagesse. Entre les destinées humaines, la leur est la plus enviable de toutes, malgré la richesse des uns ou la renommée des autres.

Telle est, six siècles avant l’ère chrétienne, l’idée de la philosophie ; très simple, mais exacte, comme il convenait à ces temps reculés et au début d’une race aussi intelligente.

Dans Platon, cette idée est déjà beaucoup moins vague. Pour lui, la philosophie est la première des sciences, parce qu’elle remonte à l’essence des êtres, en sachant la discerner sous leurs apparences matérielles et passagères. Il donne à cette science supérieure une méthode par la dialectique. Mais beaucoup plus pratique qu’on ne le suppose ordinairement, Platon s’applique à former des philosophes bien plutôt qu’à définir la philosophie. Il apprend aux chefs d’état quelles sont les qualités et les vertus qu’annoncent dès l’enfance ces natures heureuses, amies du vrai, pleines