Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 84.djvu/336

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

démonstration rationnelle. Certainement, on fait bien de les invoquer, à défaut de meilleures ; mais celle qu’a donnée Descartes est la vraie ; et, auprès de celle-là, toutes les autres pâlissent et s’effacent. L’athéisme est un des plus funestes égremens de la science ; la philosophie peut le conjurer, si la science consent à l’écouter et à rester dans ses attributions. Pas plus que pour l’immortalité de l’âme, les sciences n’ont à se prononcer sur l’existence de Dieu ; mais quand elles la nient, elles ne se trompent pas moins que quand, à leur grand dommage, elles confondent la matière et l’esprit. Il paraît bien que Laplace n’a pas tenu le propos qu’on lui prête ; mais il est parfaitement vrai que l’astronomie n’a point à s’occuper de cette question. La réserve même du positivisme, qui ne veut ni affirmer Dieu ni le nier, est louable, s’il ne s’agit que du devoir des sciences spéciales ; mais la philosophie doit parler quand tout le reste se tait ; le silence qu’on prétendrait lui imposer ne serait qu’une faiblesse de sa part. Si elle l’acceptait jamais, ce serait trahir la cause de l’humanité.

Ajoutez que cette idée de l’infini, apparaissant à notre raison, quand elle considère l’être fini que nous sommes, contient une solennelle leçon. Qu’est-ce que l’homme en présence de l’être infini ? Qu’est-ce que la science humaine, toute vaste qu’elle est, en face des phénomènes prodigieux et sans nombre qui la sollicitent et qui dépassent si démesurément notre curiosité ? Que sommes-nous dans cette immensité où se perd notre esprit, aussi bien que notre existence éphémère ? Sans aucun doute, la science est encore dans l’homme ce qu’il a de plus fort et de plus réel ; mais que les bornes de la science sont étroites ! Que son cercle est restreint ! Ses conquêtes les plus glorieuses, que sont-elles auprès de toutes les conquêtes qu’elle peut rêver, mais qu’elle n’atteindra jamais ? Socrate avait coutume de dire que ce qu’il savait le mieux, c’est qu’il ne savait rien. Descartes avouait que tout ce qu’il avait appris n’était rien en comparaison de ce qu’il ignorait. Qui peut se flatter d’être mieux partagé que ces deux sages ? Qui a le droit de ne pas ressentir autant d’humilité ? N’est-ce pas là un enseignement et un exemple à l’usage de tous les temps ? L’orgueil sied-il jamais à l’homme ? Les sciences peuvent être fières à juste titre de leurs progrès, quand elles se rappellent leur point de départ et qu’elles voient où elles en sont arrivées. Dans cette carrière, l’homme ne rencontre que lui-même. Mais quand il porte ses regards vers l’infini ne sent-il pas que cette notion l’écrase et le réduit presque à un pur néant ? Pascal a bien raison de trouver que l’homme est plus noble que l’univers, parce que l’homme comprend l’univers et que l’univers ne comprend pas l’homme. Mais, encore une fois, malgré