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ces êtres sont tous soumis ? Indépendamment de leurs formes diverses et variables, n’y a-t-il pas dans chacun d’eux quelque chose qui subsiste et qui les fait être ce qu’ils sont d’une manière permanente ? N’est-ce pas ce qu’on appelle la substance ? Tous les êtres, en conservant leur substance, ne sont-ils pas placés dans un temps et dans un espace ? Substance, espace et temps sont des idées absolument nécessaires aux sciences, qui les introduisent, sans y prendre garde, dans tout ce qu’elles observent et dans tout ce qu’elles décrivent. Qu’on dise avec Kant que ce sont là de simples concepts, qui sont dans notre raison, ou qu’on en admette la réalité hors de nous, il n’importe guère. Quelque parti que l’on prenne, il faut toujours analyser ces idées ; il faut les approfondir dans leur infinitude ; et comme les sciences spéciales ont un but tout différent, c’est la métaphysique qui remplit cette tâche, pour compléter l’œuvre de l’intelligence et de l’observation scientifiques. Omettre cette analyse se conçoit de la part des sciences spéciales ; mais c’est une lacune que l’esprit humain doit combler, attendu que rien ne pourrait se comprendre sans ces conditions indispensables et communes. De nos jours, elles n’excitent pas moins d’intérêt que du temps de Platon et d’Aristote. Pas plus que nos ancêtres, nous ne saurions les supprimer ; et même, plus la science est rigoureuse, moins elle doit penser à se priver de ce secours. Il y a bien d’autres idées que celles de l’espace, du temps et de la substance, dont la métaphysique doit se préoccuper au profit de la science ; mais rappeler ces trois-là suffit ; si les autres sont encore fort importantes, elles sont subalternes.

Méthode, certitude, substance, espace et durée, voilà par quelles chaînes les sciences tiennent secrètement, mais indissolublement, à la philosophie, et même à la métaphysique, tant redoutée. Parfois, les sciences ont essayé entre elles, et en dehors de la philosophie, d’autres alliances, qui semblaient plus pratiques et qui néanmoins ont échoué. Ainsi, les sciences physiques, chimiques et naturelles ont cherché à s’unir ; elles n’y ont pas réussi ; et quand elles ont prétendu pousser leurs études un peu avant, elles sont arrivées à des synthèses qui avaient le double inconvénient d’être partielles et hypothétiques. C’est en poursuivant un dessein de ce genre que Claude Bernard se hasardait à soumettre à une même loi le développement des êtres animés et celui des minéraux. La chimie, sans doute, peut être utile à la physiologie, comme les mathématiques le sont à l’astronomie et à une foule de sciences ; mais dans chacune des sciences particulières, il se trouve toujours quelques questions réservées qui ne peuvent être comprises par les sciences voisines ; et quand, de proche en proche, on parvient par la synthèse