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allures pillardes des Pandours, étaient charmées de les voir partir en si piteux état. — « La consternation des généraux autrichiens, écrivait Frédéric, doit être telle, qu’ils font marcher les troupes sans disposition, — aille comme il peut, — de façon que le soldat commun s’en aperçoit très bien et en parle sans réserve… On laisse en arrière chariots, bagages et tentes… Ainsi j’ai sauvé ma patrie du plus cruel des malheurs, et toute mon expédition ne me coûte que trente morts tout au plus et soixante-dix blessés. Dieu soit loué ! nos ennemis sont battus sans que j’aie pu les atteindre[1]. »

Un succès si facilement obtenu demandait, pour être complété, à être aussi rapidement poursuivi. C’est à quoi Frédéric s’appliqua sans perdre une heure, avec un rare mélange d’énergie et de prudence, par deux mesures prises en même temps, dont l’effet devait être d’enfermer Auguste III dans une poignante alternative. D’une part, il lui fit offrir la cessation immédiate de toute hostilité et la paix, sous la seule condition d’adhérer à la convention de Hanovre et de ne pas laisser les troupes de Marie-Thérèse rentrer dans l’électorat qu’elles venaient de quitter. Puis, au même moment, il enjoignit au prince d’Anhalt (qui, après quelque hésitation, avait pris le commandement des troupes mises en position autour de Halle) de marcher droit sur Leipzig et sur Dresde, en traitant les populations saxonnes comme des ennemis déclarés, avec toutes les rigueurs de la guerre et en n’usant d’aucun ménagement. Les deux ordres furent exécutés avec autant de célérité et de précision qu’ils avaient été transmis. Ce fut le ministre anglais à Dresde, M. Villiers, qui se chargea de faire à Auguste la communication pacifique, tandis que le prince d’Anhalt, balayant devant lui le petit corps d’observation saxon qui stationnait devant Leipzig, entrait dans cette ville tambour battant et sans rencontrer de résistance. Ainsi, on laissait à Auguste le choix ou d’apposer sa signature à un acte déjà tout préparé, qui lui assurait l’intégrité de sa situation royale, ou d’attendre qu’un vainqueur armé vint dans son palais mettre la main sur sa personne. Frédéric avait calculé que le dilemme mettrait a une bien forte épreuve une âme d’une bien faible trempe.

Aussi, si Auguste avait été réellement maître de ses actions, l’hésitation n’eût pas été longue, et le parti de la sagesse comme de la timidité eût bientôt prévalu. D’autant plus que l’irritation était grande dans son entourage contre l’indigne conduite des Autrichiens, et qu’on lui disait hautement qu’en les abandonnant il ne ferait que leur rendre la pareille. Mais il avait auprès de lui un

  1. D’Arneth, t. II, p. 142. — Pol. Corr. t. IV, p. 348-350.