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donner le secret ? En ce cas, l’avis était bien donné, et Harrington, s’il se sentait sourdement contrecarré par son maître, était en mesure d’en profiter[1].

Mais quelle attitude prendre envers la France ? Le cas, en vérité, était plus difficile. Il était dur, en effet, après l’avoir pris de ton si haut avec cette alliée et l’avoir congédiée d’un ton railleur en annonçant si cavalièrement qu’on saurait bien faire ses affaires sans elle, de venir maintenant, l’oreille basse et la conscience chargée, lui faire part de ses embarras et lui demander aide pour en sortir. A la négliger tout à fait cependant, on courait risque de blesser au vif la vanité de Louis XV, de le mettre à l’aise pour se désintéresser ouvertement de la lutte. Par là on ferait prendre une véritable consistance aux bruits, déjà très répandus, d’une entente secrètement négociée entre Versailles et Vienne. Puis, à défaut de troupes qui n’arriveraient pas à temps, la France pouvait toujours envoyer quelque argent, et le mesquin subside, repoussé naguère avec tant de dédain, serait maintenant venu assez à propos pour subvenir aux frais impérieux d’une campagne d’hiver. Avec un trésor tellement à sec que, pour le remplir, il fallait fondre la vaisselle des palais royaux, 500,000 livres versées régulièrement chaque mois n’étaient plus de refus. Aussi Podewils, tout entier au péril présent et à la misère pressante, n’hésitait-il pas à courir après ses paroles et presque à demander grâce. Il faisait venir Valori pour reprendre avec lui, article par article, la convention de Hanovre, en justifier les intentions, en démontrer l’innocence et presque les avantages. — « Le roi de Prusse, écrit Valori, est entièrement retourné vers nous par ses grands besoins d’argent… M. de Chambrier a ordre de tout dire et de représenter les besoins du roi aussi pathétiquement qu’il le pourrait[2]. »

La lettre que Frédéric se décida à écrire lui-même à Louis XV ne se ressent nullement, il faut en convenir, de cette excessive émotion. Il eût été impossible, au contraire, de mettre plus de dignité et de convenance dans une démarche dont l’orgueil avait tant à souffrir. Après quelques mots de retour sur le passé et d’explications déjà plusieurs fois données sur les causes qui l’avaient conduit à traiter seul avec l’Angleterre : « Je jouirais encore du bien de la paix, dit le roi, si les intérêts de Votre Majesté ne m’avaient engagé dans la guerre présente. Ses ennemis et les miens, réunis par l’ambition, la haine et la vengeance,

  1. Frédéric à Andrié, ministre à Londres, 12 novembre 1745. — Pol. Corr., t. IV, p. 327.
  2. Valori à d’Argenson, 13 novembre 1745. (Correspondance de Prusse. — Ministère des affaires étrangères.)