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connue, on applaudit, dans les tavernes de Londres, à la victoire prussienne, comme si les rôles eussent déjà été chargés et que le vainqueur ne fût plus nominalement l’ennemi, et le vaincu l’allié de l’Angleterre.

« La reine de Hongrie, écrit Horace Walpole, par sa bigoterie, se réjouit de tout ce qui devrait contrarier ses vœux… Je ne puis dire combien je suis heureux de la nouvelle que nous avons reçue, il y a deux jours, que le roi de Prusse a battu le prince Charles, qui l’avait attaqué juste au moment où nous venions d’obtenir la paix pour lui… Quelle odieuse maison que celle d’Autriche ! »

— « La reine de Hongrie, écrit le ministre Pelham à l’envoyé anglais en Hollande, a certainement perdu l’affection du peuple, et je ne puis dire qu’elle ne l’ait pas mérité. On ne voit pas quand on finira de crier : « Soutenons la maison d’Autriche ! » et cette maison néglige entièrement l’intérêt général en vue duquel tout honnête homme lui accordait son affection. » Le sentiment public, en un mot, devint tel que, quand le roi ouvrit le parlement le 16 octobre, tout ce qu’il put faire pour ne pas provoquer une expression trop compromettante du vœu national, ce fut, dans le discours qu’il prononça, de ne parler que des dangers intérieurs, sans la moindre allusion aux affaires du dehors[1].

C’est l’écho de ce mélange d’alarmes et de colère que Robinson était chargé de porter aux oreilles de l’impératrice, en forçant une fois de plus l’entrée de son conseil. Si, pour s’encourager à reprendre sur nouveaux frais cette tâche ingrate, Robinson avait nourri quelque vague espoir de trouver l’orgueil autrichien abattu par le résultat malheureux de la journée de Sohr, il ne tarda pas à être détrompé. — « Je vis tout de suite, écrit-il, que l’air de Francfort n’avait pas contribué à rafraîchir la chaleur des impressions qui règnent ici. » — Effectivement, dans l’entourage même de l’impératrice, ministres et courtisans, exaltés par la promenade triomphale qu’ils venaient de faire dans tout le midi de l’Allemagne, étaient aussi montés qu’elle. La commission dont Robinson était chargé n’était un mystère pour personne ; on lui demandait, sur un ton provoquant, si l’Angleterre avait donc pris son parti de substituer la maison de Brandebourg à celle d’Autriche, et si on allait voir la seconde édition du traité d’Utrecht, par lequel la reine Anne, faussant compagnie à Charles VI, l’avait laissé en tête-à-tête avec la France. — « Mais, détrompez-vous, ajoutait-on, ce n’est pas la Prusse que vous

  1. Correspondance de La Touche, agent secret à Londres. — Ministère des affaires étrangères, 16, 30 octobre 1746 ; — Horace Walpole a, Horace Mann, 4 octobre 1745 — Coxe, The Pelhams, chap. IX, t. I, p. 282.