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La première chose à faire, en effet, dans une telle extrémité, c’était de rappeler à soi (jusqu’au dernier homme s’il le fallait) ce qui restait de troupes anglaises portant les armes sur le continent. Mais quel remède héroïque ! Évacuer ainsi complètement les Pays-Bas, au risque de laisser le champ libre à Maurice de Saxe, pour pénétrer, peut-être sans résistance, jusqu’au cœur de la Hollande, c’était abandonner toutes les traditions que la politique de l’Angleterre avait suivies depuis Elisabeth, et ruiner peut-être sans retour son crédit en Europe ! Douloureuse alternative dont l’Autriche seule, je l’ai déjà fait comprendre, pouvait tirer son alliée en venant pourvoir elle-même, comme c’était sa tâche naturelle, à la défense de ses possessions flamandes. Mais il était toujours clair qu’elle ne pourrait s’acquitter de ce devoir tant que, par son obstination à lutter contre Frédéric, la moitié de ses forces serait occupée en Silésie et en Bohême. De là la nécessité d’insister encore auprès de Marie-Thérèse pour obtenir d’elle, par menaces ou par prières, au nom de la reconnaissance et du péril de la cause commune, qu’en acceptant la paix en Allemagne, telle que la convention de Hanovre la rétablissait, elle se mit en mesure de pouvoir ramener toutes ses forces sur le Rhin et sur l’Escaut.

Quant au public anglais, dans le trouble où il était plongé, il ne portait peut-être pas ses vues si loin ; une seule chose le touchait : la succession protestante menacée et le retour du papisme triomphant. Devant l’imminence d’un tel péril, tous les intérêts plus éloignés étaient oubliés. A tout prix surtout, il fallait terminer cette guerre d’Allemagne, qui, d’ailleurs, depuis cinq ans qu’elle durait, coûtait bien cher, et profitait plus à l’électoral de George qu’à son royaume. Puisque la convention de Hanovre donnait le moyen de s’en retirer, qu’on se hâtât donc de la mettre en œuvre et, bon gré mal gré, de l’imposer à Marie-Thérèse.

On sait avec quelle conviction, d’une sincérité parfois naïve, l’Angleterre, persuadée qu’elle représente le droit incarné, considère facilement tout ce qui contrarie ses desseins ou ses désirs comme une contravention à la morale et à la justice. Marie-Thérèse, défendant naguère ses droits héréditaires, quand l’Angleterre trouvait intérêt à les faire prévaloir, avait été portée aux nues ; Marie-Thérèse, hésitant à contresigner une convention où l’intérêt anglais trouvait son avantage, perdit à l’instant le prestige de sa popularité. Peu s’en fallut que sa résistance ne lui fût imputée à trahison, et qu’on ne vit plus en elle qu’une dévote fanatique, heureuse, au fond de l’âme, de voir remonter sur le trône de l’Angleterre un prince catholique. Frédéric, au contraire, redevenait le défenseur du protestantisme, intéressé qu’il était à maintenir un ordre de succession auquel lui-même pouvait être appelé. Ce fut au point que, quand la bataille de Sohr fut