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était, de plus, le frère de ce marquis d’Argens, célèbre dans tous les écrits du temps, et qui, obligé de quitter la France par suite des écarts d’une jeunesse orageuse, était allé s’établir à Berlin, pour y devenir chambellan du roi de Prusse, dont il devait demeurer, jusqu’à la mort, le plus humble, le plus soumis et souvent le plus maltraité des serviteurs. Était-ce cette double parenté et la nature des relations et des sentimens qui devaient en résulter, qui valurent à d’Éguilles la confiance de d’Argenson ? Je ne sais, mais toujours est-il que le jeune magistrat dut partir, chargé d’aller trouver Charles-Édouard pour s’enquérir de l’état des forces de l’insurrection et de la nature comme de l’importance du secours qui pouvait en assurer le succès. Ce n’était qu’au prince seul qu’il devait révéler sa mission ; pour tout autre, même pour l’entourage le plus intime, il ne devait être qu’un généreux volontaire, en quête de prouesses pour se distinguer, et venant s’attacher pour l’amour de la vaillance à la fortune d’un héros[1].

De pareils secrets sont rarement gardés : la présence sur les côtes d’Écosse de deux bâtimens sous pavillon français, débarquant des armes et des munitions, et portant à leur bord un personnage de distinction dont la qualité était enveloppée de mystère, n’aurait pu être longtemps ignorée. Un incident vint rendre tout déguisement inutile. La petite escadre fut assaillie en mer par une forte tempête et portée sous le vent d’une croisière anglaise ; pour lui échapper, il fallut se hâter de venir mouiller dans un petit port attenant à la ville de Montrose, qui se trouva être du petit nombre de celles qui n’avaient pas encore pris parti pour le prétendant. D’Éguilles, alors, payant d’audace, fit débarquer les quarante-deux hommes qui composaient l’équipage de ses deux bâtimens et, se mettant à leur tête, entra à main armée dans la ville. La population, entraînée par son ardeur communicative, se déclara en sa faveur, et les magistrats royaux n’essayèrent même qu’un simulacre de résistance. Mais un tel éclat suffisait pour déchirer tous les voiles : c’était la certitude que la France allait cette fois se mettre décidément de la partie.

On eut bientôt la confirmation du fait, par un aveu en quelque sorte officiel. En vertu d’un ancien traité, la Hollande était tenue, en cas que la succession protestante fût menacée en Angleterre,

  1. Ministère des affaires étrangères. — Correspondance relative aux prétendans, vol. Stuarts, 27 septembre 1745. — Le récit de la mission du marquis d’Éguilles et sa correspondance inédite viennent d’être publiés par M. Paul Cottin, dans un volume intéressant, intitulé : Un Protégé de Bachaumont. Ces pièces sont tirées de la Bibliothèque de l’Arsenal. (Voir aussi, dans l’Annale de l’École des sciences politiques du 15 avril 1887, le travail fait sur le même sujet par M. Germain Lefèvre-Pontalis.)