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qu’on l’en faisait sortir. Mais ces premiers succès lui permettaient d’attendre et même de réclamer du dehors un concours plus efficace. Cette invasion française, dont le public anglais s’était inquiété, je l’ai dit, quand on y songeait à peine à Paris (et dont, en réalité, aucun gouvernement anglais n’aura rien à craindre tant qu’il sera maître de tous ses ports et de toutes ses côtes), devenait une éventualité beaucoup moins difficile à réaliser quand une armée de débarquement pouvait trouver dans l’Écosse, déjà soulevée, un accueil tout préparé d’avance et une base d’opérations. La témérité du jeune prince venait d’ailleurs en aide, d’une façon imprévue et des plus heureuses, à la lutte que la France avait à soutenir sur le continent. Il devenait donc plus intéressant, pour le cabinet de Louis XV, d’entretenir cette diversion, et la reconnaissance faisait presque un devoir de ne pas laisser succomber cet auxiliaire inattendu ; aussi le projet d’envoyer en Écosse un secours effectif, — idée que le cardinal de Tencin était, la veille encore, presque seul à recommander à ses collègues, — prit devant cet appel de la fortune une consistance tout à fait sérieuse, et compta à Versailles des partisans parmi ceux qui s’y étaient jusque-là dédaigneusement refusés. Puis, l’imagination française, si facile à exalter, et qui exerçait alors à la cour autant d’empire qu’aujourd’hui dans nos chambres et dans la presse, était singulièrement séduite par le caractère romanesque d’un exploit qui rappelait les beaux temps de la chevalerie. D’Argenson, dont la nature généreuse mêlait volontiers le sentiment à la politique, ne fut pas le dernier à partager cet entraînement. Il avait résisté, je l’ai dit, à la pensée d’imposer par la force, à une nation libre, un gouvernement qu’elle aurait repoussé ; mais une fois sa conscience philosophique mise en repos par l’élan spontané qui semblait ramener l’Écosse sous la main de ses anciens rois, il cédait volontiers à cet attrait d’aventures et de nouveautés, qui n’était pas le côté le moins original de son esprit, et au désir d’associer son nom au souvenir d’une entreprise héroïque.

Aussi, quinze jours après la prise d’Edimbourg, deux bâtimens partaient-ils déjà de Dunkerque, chargés d’armes, de poudre et d’argent, et comptant, au nombre de leurs passagers, un agent secret, choisi par le ministre lui-même parmi ses amis personnels. C’était un jeune président de chambre du parlement d’Aix, le marquis d’Éguilles, qui faisait partie d’un petit cénacle littéraire dont d’Argenson était un des habitués. Quel est le lecteur des œuvres de Voltaire qui ne connaît les noms de MM. de Pont de Veyle et d’Argental, ces correspondans familiers, dévoués, presque dévots du grand poète ? D’Éguilles était leur neveu, élevé sous leurs yeux. Il