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d’Egypte. La liberté de circulation par le canal de Suez est désormais reconnue en temps de guerre comme en temps de paix ; elle devient un principe de droit international, elle est placée sous la garantie de tous les états européens appelés maintenant à sanctionner l’œuvre des deux puissances qui ont pris l’initiative de cette transaction, qui réalisent ce qu’une conférence a laissé inachevé il y a quelques années. Les journaux anglais se sont bâtés, il est vrai, de nous prévenir qu’il ne fallait pas aller trop vite et trop échauffer notre imagination, que la neutralisation acceptée et proclamée de l’isthme de Suez ne décidait pas l’abandon de l’Egypte par l’Angleterre, que la retraite des forces britanniques restait subordonnée à d’autres conditions. C’est possible : ce n’est pas une solution complète et définitive, c’est du moins un commencement de solution, un acheminement à un état plus régulier dans la vallée du Nil. C’est aussi pour la France une sorte de rentrée simple et honorable dans les affaires d’Egypte, une réparation des imprévoyances des cabinets français dans ces dernières années, et c’est le mérite de M. le ministre des affaires étrangères Flourens d’avoir conduit avec autant de tact que d’esprit de suite cette sérieuse et profitable négociation.

Certainement, il n’y a rien à exagérer, les bons journaux anglais, qui ont toujours une si ample provision de modestie et de conseils pour les autres, n’ont pas besoin de nous le rappeler. Ces dernières conventions, par elles-mêmes, ne sont qu’une œuvre partielle, limitée à des faits spéciaux, à des intérêts d’un ordre spécial ; mais, en dehors même des questions qu’elles sont destinées à résoudre, elles ont peut-être une signification plus sérieuse, plus digne d’attention. Elles prouvent la bonne volonté de traiter d’intelligence les affaires d’intérêt commun entre les deux pays, un certain retour à une politique de libre et virile conciliation. Depuis quelques années, sous l’influence de bien des causes accidentelles, en partie sans doute par la faute de ces malheureuses affaires d’Egypte, si médiocrement conduites en France, il s’était introduit dans les rapports des deux peuples des acrimonies, des animosités, des jalousies que les journaux se sont chargés trop souvent d’envenimer. A quoi servent ces mésintelligences nées d’une mauvaise humeur factice plus que du sentiment profond des intérêts des deux pays ? On peut sans doute dire du mal des Français en Angleterre, de même qu’en France on peut trouver parfois que les Anglais sont des alliés peu commodes, égoïstes, âpres à la défense de leurs intérêts. Tout cela est possible. En réalité, cependant, de toutes les alliances, la plus vraie, la plus naturelle, la plus sérieusement efficace, est celle des deux grandes puissances de l’Occident, des deux nations libérales. Leurs divisions sont toujours une faiblesse pour le monde ; leur accord pourrait être la plus sûre garantie pour la liberté de l’Europe. CH. DE MAZADE.