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cisant cette question de l’alcool, propose à la fois une bonne action morale et une opération fructueuse pour le trésor.

Que fera-t-on maintenant que la question est posée ? Au premier abord, rien ne serait plus simple. On a besoin d’argent, on a là un moyen de rendre au budget une précieuse ressource, sans infliger à la masse laborieuse et sobre des charges nouvelles. Oui, sans doute, c’est assez simple ; mais c’est ici que l’esprit de parti reprend son rôle. Ces innombrables débits qui couvrent la France, qui empoisonnent le peuple, si on veut les taxer ou les surveiller de plus près, on risque de s’aliéner toute une clientèle républicaine. Les chefs du parti ont besoin des petits débitans. Ces producteurs et ces distributeurs d’un alcool frelaté, qu’on parle de réprimer aujourd’hui, ces fraudeurs sont aussi, le plus souvent, de grands électeurs, et la politique se fait leur complice ou leur protectrice, M. Claude a eu le courage de le dire. La politique agit à leur égard de deux façons : elle décourage les petits agens du fisc, qui craignent toujours de s’attirer de mauvaises affaires, de se créer des embarras par une répression trop zélée ou trop sévère ; elle se fait aussi la patronne des fraudeurs, en faveur de qui elle intervient auprès de l’administration supérieure pour obtenir a des transactions, des remises de peines, des diminutions d’amendes. » Ce sont des sénateurs et des députés, M. Claude ne craint pas de l’avouer, qui sont les négociateurs de ces transactions, de ces restitutions d’amendes dans un intérêt électoral. Et voilà pourquoi, vraisemblablement, on ne fera rien ! Toucher aux débitans et aux fraudeurs d’alcool, même avec la chance de reconquérir 150 millions pour un budget en détresse, c’est trop dangereux !

Il est bien plus simple de faire des économies sur les traitemens de malheureux employés ou de quelque vieux prêtre, sur les élèves de la Légion d’honneur dont on fermera les glorieux asiles et qu’on utilisera pour peupler les nouveaux lycées de filles. Il est bien plus facile de s’attaquer, comme le propose encore une fois la commission du budget, à la dotation des cultes, sans se préoccuper de la commotion qui peut en résulter dans le pays. On économisera, on épargnera, on lésinera sur tout, sur les services de l’état, sur les monumens, sur les arts, ne fût-ce que pour pouvoir donner à de prétendues victimes du 24 février 1848 ces « récompenses nationales, » ces subventions rétrospectives qu’un député conservateur, M. Lefèvre-Pontalis, appelait justement et spirituellement l’autre jour au Palais-Bourbon une prime à l’insurrection. Désorganiser au besoin les services publics par des économies mal entendues, et tout prodiguer, tout permettre à ceux qui votent bien, c’est le dernier mot du système. On ne continuera pas moins à parler des grandes réformes qu’on veut toujours accomplir et auxquelles le gouvernement se refuse, que le sénat surtout arrête au