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progressif, la séparation de l’église et de l’état. Ils sentent qu’à s’engager à outrance, ils risqueraient d’assurer au gouvernement l’appui de tous les modérés, même des conservateurs de la droite. Toujours assez anarchiques pour ne pouvoir ni donner ni subir une direction, les radicaux se retranchent visiblement dans une expectative grondeuse, attendant une occasion qui sera peut-être le budget ou quelque incident imprévu.

En réalité, l’incertitude est dans tous les camps, et comme si ce n’était pas assez des faiblesses de cette situation, voici une complication de plus avec toutes ces affaires de scandaleuses révélations, qui sont venues tout aggraver, tout envenimer. Cette triste campagne de délation universelle, que le ministère n’a pas pu ou n’a pas su détourner, qui est déjà fertile en péripéties, elle a fini par prendre d’étranges proportions et par ne plus même respecter l’Elysée. Elle n’a pas sans doute éclaboussé M. le président de la république ; elle a tout au moins atteint son gendre, M. Wilson, qui s’est trouvé accusé d’avoir commis toute sorte de méfaits, d’avoir abusé de sa position et de son influence. C’était déjà singulièrement délicat. La chambre, qui se réunissait en ce moment, n’a point certes simplifié l’affaire en cédant à la tentation de nommer précipitamment une commission chargée d’examiner s’il n’y aurait pas là une belle occasion d’enquête parlementaire. Peut-être le ministère ne s’est-il pas du premier coup rendu compte de la portée de cet acte un peu extraordinaire ; il semble avoir été surpris, il n’a fait du moins que quelques objections assez faibles, assez molles, qui n’ont pas arrêté la chambre, — et la commission s’est trouvée instituée, improvisée, si l’on veut ! Ce n’est encore, il est vrai, qu’un préliminaire, rien n’est irréparablement décidé. Seulement, M. le président de la république paraît s’être ému de cette intervention parlementaire, de cette espèce de manifestation plus ou moins indirecte de suspicion, et dans un premier mouvement il n’aurait parlé de rien moins que d’abdiquer son titre de chef de l’état, de quitter lui-même l’Elysée. M. le président Grévy a pu parler d’une démission éventuelle, il aura réfléchi sans doute ; il a certainement, dans tous les cas, trop de prudence pour céder à une impatience de susceptibilité, pour ne pas attendre ce qui sera fait. De sorte que les choses sont ainsi à l’heure qu’il est : si la chambre, par une sagesse tardive, par une déférence de la dernière heure, renonce à l’enquête qu’elle a méditée, elle fait elle-même l’aveu de son irréflexion et de son imprévoyance, elle humilie son pouvoir diminué devant une nécessité dont elle se sent blessée. Si par une de ces obstinations d’orgueil qui emportent souvent les assemblées, elle veut aller jusqu’au bout, elle risque de se heurter contre le chef constitutionnel de l’état, — et à une crise ministérielle toujours, possible vient se joindre la chance d’une crise présidentielle. Il ne manquerait plus que cela pour