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obscurcir la naturelle et simple clarté, de même il faut qu’il y ait quelques principes d’équité qui subsistent, universels et inébranlables, sous tous les raffinemens de la jurisprudence. On peut admettre, à la rigueur, que les jurisconsultes soient les seuls compétens, en matière de contrats ou d’obligations, de commodat et d’antichrèse ; on ne peut pas admettre que la matière du mariage ou celle de la filiation échappe à l’intelligence d’un homme de bonne volonté. Là est le point. Avant d’appartenir à l’austère science du droit, il y a des questions qui relèvent de tous ceux qui y ont intérêt, comme avant de dépendre de Sanchez ou d’Escobar, il y a des cas de conscience, au moins depuis Pascal, qu’un honnête homme a tout ce qu’il faut de lumières pour examiner et résoudre.

Est-ce peut-être pour cette raison que toutes les réformes, ou presque toutes, si l’on ne peut pas dire précisément qu’elles se soient faites contre les jurisconsultes, se sont faites ou se font tous les jours en dépit et comme en dehors d’eux ? Institués pour conserver le dépôt de la tradition et pour maintenir à la loi ce caractère d’immutabilité « sans lequel la loi ne serait pas tout à fait loi, » ils ont rarement osé critiquer les textes dont ils sont les respectueux et dévots interprètes. Mais si les lois ne sont pas parfaites, ne descendant plus aujourd’hui du ciel, il faut bien que ces écrivains, dont ils récusent l’incompétence, prennent quelquefois sur eux d’en demander la réforme ou l’amélioration. Les exemples fameux qu’on en pourrait citer, M. Moreau les connaît mieux que nous. Il en est un pourtant qu’il nous permettra de lui rappeler parmi les plus mémorables, et dont les jurisconsultes ne sauraient trop méditer la leçon.

En 1780, après Voltaire et après Rousseau, sous le règne humain de Louis XVI, et à dix ans de la révolution, un conseiller au grand conseil, qui s’appelait Muyart de Vouglans, publiait sur les Lois criminelles de France dans leur ordre naturel, un long et remarquable traité, dans lequel, contre les philosophes de son temps, et particulièrement contre l’auteur du Traité des délits et des peines, il défendait, soutenait, et justifiait toute la barbarie de l’ancien droit. Dirai-je que M. Félix Moreau contre M. Dumas m’a fait quelquefois songer à Muyart de Vouglans contre Beccaria ? Lui aussi, comme l’agrégé de la faculté d’Aix, il reprochait à Beccaria son ignorance du droit, le conseiller au grand conseil ! Que l’on osât attaquer la confiscation et la torture, il s’en étonnait, ou plutôt il s’en indignait comme d’une déclamation sacrilège, et, triomphalement, il montrait au publiciste italien la torture et la confiscation également approuvées des plus savans criminalistes et des meilleurs auteurs. « On pourrait écarter d’un seul mot tout ce que dit l’auteur sur ce sujet de la torture, disait-il, en observant qu’il ne fait que répéter ce qui a été dit par