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« Comment prendre au sérieux les doléances de M. Dumas sur la condition des enfans naturels, s’écrient-ils très éloquemment, après avoir constaté qu’il ne sait pas ce qu’il faut entendre par des alimens, qu’il ignore les règles de la recherche de la maternité, enfin qu’il applique aux enfans naturels des textes qui s’occupent expressément des enfans incestueux ou adultérins ! » Mais quelles vétilles ! « grands jurisconsultes ! et de quel intérêt sont-elles à la question capitale, à la seule que M. Dumas ait jamais discutée, qui est de savoir, oui ou non, s’il y a lieu d’inscrire dans nos lois la recherche de la paternité ? Voilà le motif et la raison des « doléances » de M. Dumas sur la condition des enfans naturels. Il lui paraît inique, et en tout cas fâcheux, que l’enfant soit châtié d’une faute qui n’a jamais été la sienne. Qu’importe à cela qu’il se trompe sur un détail, et même qu’il confonde l’enfant de l’inceste ou de l’adultère avec celui du hasard ou de la séduction ? Par-delà la question juridique, dont ses contradicteurs s’occupent seule, il y a une question sociale, et il y a une question d’humanité. Dans la question d’humanité, tout le monde peut-être est plus compétent qu’un vieux juge ou qu’un jurisconsulte. Sur la question sociale, on ne saurait répondre à M. Dumas qu’en montrant, si l’on le peut, que la recherche de la paternité, pour un intérêt social qu’elle garantirait peut-être, en compromettrait plusieurs autres et de plus graves. Mais pour la question juridique, je ne doute pas qu’il l’abandonnât de grand cœur aux cavillations des jurisconsultes : elle n’a pas d’importance à ses yeux, et elle n’en a guère davantage aux yeux de ceux qui croient avec lui que les lois positives ou même les coutumes sont ou doivent être censées avoir l’équité naturelle pour base, pour mesure, et pour justification.

Ou plutôt, si ; elle a son importance, mais cette importance est autre, et d’une autre nature que ne le croient peut-être les jurisconsultes. Puisque nous les voyons disputer entre eux de leur science, elle est donc moins sûre, moins faite, moins réelle qu’ils ne le disent, elle est donc plus conjecturale, plus incertaine, ou plus verbale, elle est surtout plus arbitraire. « Les bévues de M. Dumas, nous dit en effet M. Moreau, dans sa Conclusion, seraient, si les jurisconsultes se vengeaient, la vengeance, — non pas de l’auteur obscur de ces pages qui ne compte guère que douze années d’études juridiques, — mais des maîtres de la science du droit, qui, après une vie tout entière consacrée à ce labeur sans fin, après une carrière marquée par tous les succès et couronnée par tous les lauriers, constatent modestement leur ignorance, et n’osent qu’à peine et à regret formuler des critiques, proposer des réformes, que d’autres proposent et formulent avec la belle ardeur de l’ignorance qui ose tout, parce qu’elle ne sait rien. » Quoi ! vraiment, nous en serions la ! Le Code, ce monument auquel on n’oserait toucher que