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mauvais, par suite de l’action très complexe de lois naturelles… » Darwin ne croyait donc pas à l’intervention de la divinité ; pour lui, elle a formulé des lois qui vont leur chemin, sans s’en détourner jamais, et, à ce titre, il ne peut être considéré comme chrétien. « Mais dit-il, dans mes plus extrêmes fluctuations, je n’ai jamais été un athée ; je n’ai jamais nié l’existence de Dieu. Je crois qu’en général, et surtout à mesure que je vieillis (il écrit en 1879), mais non toujours, l’agnosticisme représenterait le plus correctement l’état de mon esprit. » Écrivant à un jeune Hollandais, il disait : « L’impossibilité de concevoir que ce grand et étonnant univers avec nos moi consciens a pu naître par hasard me paraît être le principal argument pour l’existence de Dieu ; » et dans une autre lettre, il s’exprimait ainsi : « Je crois que la théorie de l’évolution est tout à fait compatible avec la croyance en Dieu ; mais il faut se rappeler que la définition de ce que l’on entend par ce nom varie selon les personnes. » Il y aurait bien des pages intéressantes à citer dans la correspondance de Darwin, se rapportant à cette grave et délicate matière, mais nous devons nous contenter de ces citations et indications sommaires. Darwin est un déiste, et non un athée, comme cela se répète couramment.

Darwin est mort le 19 avril 1882, d’une maladie de cœur. Dans le dernier mois de sa vie, il se plaignait d’une faiblesse assez grande et de troubles du côté du cœur, troubles se manifestant par des éblouissemens et des vertiges. Il vit la mort venir et ne la craignit point, et expira au milieu des siens. Sur la proposition de divers membres du parlement, il fut inhumé à l’abbaye de Westminster, entouré de ses pairs et de ses disciples, sir John Lubbock, Hooker, Huxley, le duc d’Argyll, Wallace. Il repose non loin de Newton, et c’est justice qu’une sépulture royale ait été ouverte à ces rois de la pensée.

Les œuvres de Darwin ont suscité des orages formidables, et l’apaisement est encore loin de régner dans le monde des naturalistes et des philosophes. Quelle que puisse être la portée de ces œuvres, quelle qu’en doive être la fortune, il est du moins un point sur lequel tous devront être d’accord, surtout quand ils auront lu cette correspondance, c’est la bonne foi, la sincérité profonde de Darwin. Elle éclate à chaque phrase avec une candeur inaltérable. Si l’on joint à cela le charme, la cordialité, qui sont si profondément empreints dans le caractère de Darwin, l’on comprendra qu’il soit peu de lectures aussi attachantes, et que véritablement, comme nous le disions, l’affection et la sympathie le disputent à l’admiration. C’est un éloge rare, que peu parmi les grands ont su mériter.

Henry de Varigny.