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Lyell dans l’affaire, en imposa aux membres, qui autrement se fussent insurgés contre la doctrine. Nous avions aussi l’avantage d’être familiers avec les auteurs et avec leur théorie. »


Darwin a toujours gardé à ses amis Lyell et Hooker une profonde reconnaissance pour le conseil et l’appui qu’ils lui ont donnés en cette circonstance ; ses lettres en sont un témoignage fidèle : « Je m’étais tout à fait résigné, écrit-il à Hooker, et j’avais déjà écrit la moitié d’une lettre à Wallace, où je lui abandonnais toute priorité et je n’eusse certes pas changé d’avis sans votre extraordinaire bonté, à Lyell et à vous. »

La publication de Wallace détermine Darwin à changer ses plans. Il cesse de travailler à l’œuvre entreprise, œuvre qui devait être considérable, avons-nous dit, et se décide à faire un résumé de celle-ci mais un résumé qui, il le voit bientôt, devra former un volume de dimensions assez considérables. Ce résumé, c’est l’Origine des Espèces. Il y travaille avec ardeur, tenant ses amis au courant de ses progrès, trop lents à son gré, leur envoyant le manuscrit des chapitres au fur et à mesure pour les soumettre à leur appréciation, continuant aussi à noter, à observer, à expérimenter. À cette époque se rapporte une lettre qu’il adresse à Wallace, en réponse à un billet de celui-ci, et qui indique bien le caractère particulièrement droit et la courtoisie des deux hommes : « Permettez-moi, dit-il, faisant allusion à deux lettres de Wallace, permettez-moi de vous dire combien j’admire du fond du cœur l’esprit dans lequel elles sont conçues… Je vous souhaite de tout cœur santé et entier succès dans tout ce que vous entreprendrez, et Dieu sait que, si un zèle admirable et l’énergie méritent le succès, vous le méritez amplement. Je considère ma carrière comme presque finie. Si je puis publier mon résumé (l’Origine des Espèces), et peut-être mon ouvrage plus étendu sur la même matière, je considèrerai ma course comme fournie. »

L’éditeur Murray, qui a entendu parler, — par Lyell, semble-t-il, — du volume que prépare Darwin, offre de le publier. Darwin accepte, à la condition que Murray parcoure d’abord le manuscrit, et ne s’engage point sans en avoir pris connaissance ; il craint que l’orthodoxie de l’éditeur n’en soit blessée. Murray parcourt quelques chapitres et maintient son offre, qui est définitivement acceptée. L’impression est commencée aussitôt. La correction des épreuves est chose terrible pour Darwin. Il trouve son style détestable, souvent obscur, et, en raison du nombre des corrections, il offre à Murray d’en prendre une partie à sa charge. Ces épreuves sont communiquées à ses amis, qui lui donnent leurs impressions. Vers la fin, Darwin se sent à tel point fatigué que force lui est de se réfugier