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LA VIE DE CHARLES DARWIN.

niers devoirs ; c’est aussi vers cette époque que la Société royale lui décerne une médaille pour le récompenser de ses travaux.



III.


La grande œuvre de Darwin, c’est l’Origine des Espèces. Par son importance, et par le retentissement qu’elle a eu dans les sciences qui traitent de l’organisme vivant, et par la multiplicité de ses applications, les théories développées dans ce livre méritent que nous nous y arrêtions, non pour en exposer ou discuter les principes, qui sont bien connus, mais pour en montrer le développement et signaler l’accueil qui lui fut fait.

Cette œuvre, mûrie pendant plus de vingt ans, et qui n’aurait peut-être vu le jour qu’après une incubation plus longue encore sans un heureux accident, cette œuvre a occupé l’esprit de Darwin dès une époque lointaine, dès le milieu de la période que remplit son voyage autour du monde. L’Origine des Espèces procède directement du voyage, durant lequel Darwin emmagasine une foule de faits qu’il ne peut expliquer au moyen des théories courantes. Comment les interpréter ? À son retour en Angleterre, en 1837, il voit bien que la théorie acceptée de l’immutabilité des espèces est le point délicat des doctrines zoologiques, et cela le conduit à étudier les bases sur lesquelles elle repose. Dès le mois de juillet 1837, il écrit dans son journal : « En juillet, commencé mon premier livre de notes sur la mutabilité des espèces. J’avais été très frappé, dès le mois de mars précédent, du caractère des fossiles de l’Amérique du Sud et des espèces des îles Galapagos. Ces faits, les derniers surtout, origine de toutes mes vues. » Il se mit à lire tout ce qui se rapporte de près ou de loin à la question, s’occupant beaucoup, avec raison, des variations provoquées par la domestication, et notant tous les faits connus. Il y a certainement, dans la première édition du Voyage d’un naturaliste, des passages indiquant que l’idée de la mutabilité des espèces obsédait déjà l’esprit de Darwin durant son voyage ; mais, ce qui est plus intéressant, c’est la comparaison des deux éditions de cette œuvre : on y trouve des différences marquées, et nombre de passages, que M. F. Darwin a su bien choisir et mettre en relief, indiquent combien cette idée s’est imposée à lui dans l’intervalle qui les sépare. C’est de 1836 à 1839, en effet, que la théorie de l’origine des espèces s’est développée et a pris corps dans la pensée de Darwin. Plus intéressant encore est l’examen du livre de notes rédigées de juillet 1837 à février 1838. La lecture en présente un puissant intérêt ; on voit, par les passages qui nous en ont été conservés, tous les progrès de