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n’ayant pas abouti, Gall quitta le service de l’état, afin de chercher en Amérique les moyens que lui refusait la mère patrie. Au lieu des capitaux indispensables pour éteindre le paupérisme, le naïf philanthrope rapporta du Nouveau-Monde les matériaux d’un livre qu’il fit imprimer, en 1820, sous ce titre : Où est le remède ? (Was könnte helfen ? ) Une société fondée ensuite sous ses auspices à Erfurt : Gegen jede Noth des Mangels und des Uberflusses, ne réussit pas mieux à résoudre la question sociale que l’organe de propagande des Menschenfreundlichen Blätter, publié à partir de 1828. Après le refus d’une demande de brevet pour l’invention d’un appareil à distiller, dont il espérait tirer 20,000 thalers destinés à créer dans un village modèle un lavoir gratuit et une boulangerie coopérative, comme premiers essais d’exploitation collective, Gall se retira en Hongrie, où il trouva l’idée de son procédé d’amélioration des vins faibles par le sucrage.

La doctrine socialiste de Gall, développée dans le recueil des Feuilles philanthropiques, comme, peu après, les publications de son émule Weitling, s’inspirent du discours de Rousseau sur l’origine de l’inégalité et des théories économiques de Fourier. A entendre ces doctrinaires, tous les biens terrestres ont leur source dans le travail. Malheureusement, les travailleurs producteurs de la richesse nationale sont livrés à la misère, non à cause de l’insuffisance de la production, mais parce que des millions d’hommes ne possèdent que leurs bras, incapables de secouer l’oppression du capital. La domination du capital ou de l’argent accumulé entre quelques mains privilégiées est l’origine de tout le mal dont souffrent les ouvriers, les petits propriétaires cultivateurs comme les artisans, qui ne peuvent obtenir une rémunération suffisante pour leur travail. Ainsi, la société se partage en deux classes : l’une qui crée la richesse sans en jouir, ce sont les travailleurs ; l’autre, formée des privilégiés de la fortune, qui jouit, en vertu de ses capitaux, du labeur des ouvriers, vivant de revenus fixes sous forme de rentes, de loyers ou de dividendes. Par suite, capitalistes et travailleurs sont séparés « en deux camps ennemis, avec des intérêts contraires : la situation des uns s’améliore dans la mesure où empire la condition des autres, en devenant de plus en plus précaire et misérable. » Comme moyen de réforme, pour réaliser un état de choses meilleur, Gall réclame pour chacun, avec le droit au travail, une existence digne de l’homme. L’association des ouvriers avec les cultivateurs doit permettre de neutraliser l’action oppressive des gros capitaux par la force du travail collectif. Telle est aussi la thèse du compagnon tailleur Wilhelm Weitling, soutenue dans ses écrits sur « l’humanité telle qu’elle est et telle qu’elle