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fabrique ont plus d’une lieue de trajet à faire pour aller de leur domicile à l’atelier. Des patrons intelligens, capables et désireux de se rendre compte exactement des conditions du travail dans leurs ateliers, reconnaîtront que la productivité de leur personnel n’augmente pas en proportion de la durée du travail, quand cette durée est prolongée outre mesure.

A en juger par les déclarations officielles, le chancelier de l’empire paraît peu disposé à donner force de loi aux décisions pour la fixation d’une journée de travail maximum et pour l’obligation du repos ou du chômage dominical. Dût la majorité du Reichstag se prononcer en faveur de ces mesures, il faudra encore l’assentiment du Bundesrath pour les rendre obligatoires en Allemagne. L’exemple de l’Autriche, qui vient d’édicter une loi sur la journée de travail normale, l’exemple de la Suisse, qui a introduit depuis 1877 la limitation de la journée à onze heures, et l’exemple de l’Angleterre, dont les établissemens industriels ont admis depuis longtemps dans la pratique une journée inférieure au maximum légal, n’ont pu amener encore les fractions libérales à soutenir les projets de réglementation des groupes conservateurs. En ce qui concerne l’emploi des femmes et des enfans, la commission spéciale du Reichstag, chargée de l’examen des différentes motions, a décidé, en 1886, d’interdire l’admission dans les fabriques des enfans au-dessous de quatorze ans, et de défendre le travail de nuit pour les femmes. Elle a décidé également que les femmes qui ont un ménage à soigner ne pourraient travailler à l’atelier plus de neuf heures par jour, sauf dispense pour des ouvrières particulièrement nécessiteuses. Enfin les ouvrières mariées, dont les enfans n’ont pas atteint l’âge de douze ans, ne devront être admises dans un établissement industriel qu’à condition d’apporter aux autorités locales la preuve que, pendant le travail de la mère, les enfans se trouvent sous la surveillance de personnes adultes. Reste à savoir maintenant si ces mesures, dictées sans doute par une bonne intention, recevront la sanction de la pratique après leur introduction dans le code industriel. Tout a été dit sur l’exploitation navrante de la femme et de l’enfant dans les manufactures, et depuis les pages émues de M. Jules Simon en France, jusqu’aux plaidoyers pathétiques de MM. Hitze et Kropatchek au Reichstag allemand, orateurs et publicistes n’ont rien épargné pour attirer sur ce point douloureux l’attention des pouvoirs publics. Oui, l’admission prématurée dans la manufacture épuise l’enfant ; la prolongation démesurée de la journée de travail exténue la jeune fille ; le maintien de la vie de famille exige la présence de la mère à son foyer. Toutes ces vérités ne peuvent être proclamées trop haut ; et l’expérience démontre particulièrement l’incompatibilité d’un travail quotidien de douze heures à l’atelier avec les obligations de la femme comme