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Madras, du cap de Bonne-Espérance, des troupes, embarquées sur de nombreux transports, accouraient pour se concentrer à l’Ile Rodrigue. On sait que Rodrigue est située à 100 lieues environ au vent de l’île Bourbon. La base d’opérations était bien choisie. L’orage s’amassait ainsi lentement : quelques jours encore, il allait crever sur l’Ile-de-France. Soliman avait voulu supprimer Malte ; Charles-Quint, Alger[1] ; le gouvernement de l’Inde jugeait, à son tour, nécessaire de faire disparaître « le nid de scorpions » si funeste à ses flottes marchandes.

Trompée par le pavillon français, toujours arboré sur l’îlot de la Passe, arboré également à bord de la frégate mouillée sous cet îlot, la division Duperré donne, le 20 août, à pleines voiles dans le Grand-Port. L’ennemi, à l’instant, se démasque : la frégate, le fort déploient le pavillon britannique. Au signal du commandant Duperré, la Minerve a pris la tête de la colonne : Bouvet, familier avec les récifs de la baie, guidera la division française au mouillage. La Minerve essuie les volées du fort, envoie en passant sa bordée à la frégate anglaise, et va jeter l’ancre au fond de la rade. Toute la division l’a suivie.

Que pouvaient avoir à redouter nos vaisseaux dans cette position ? N’y avaient-ils pas cent fois trouvé un refuge assuré contre les forces supérieures de l’ennemi ? Oui ! l’asile autrefois était sûr : mais le fort qui commande l’entrée du Grand-Port n’était pas alors au pouvoir des Anglais ; l’Ile elle-même n’était pas menacée d’un débarquement. Le Grand-Port, aujourd’hui, n’est plus un abri ; c’est une nasse. Dans de telles conditions, ne pas désespérer de la défense, songer à embosser les frégates, au lieu de les incendier, sera déjà une résolution héroïque.

Les Anglais, heureusement, attaquèrent avec une audace irréfléchie : ils se laissèrent emporter par l’espoir d’un facile succès. Aussitôt que l’escadre de blocus put être avertie, elle accourut. Trois nouvelles frégates vinrent, le 22 août, rejoindre la Néréide, qui continuait de garder l’entrée du Grand-Port : Néréide, Sirius, Iphigénie, Magicienne, se précipitèrent vers la division Duperré, comme si la voie qui devait les mener au combat ne cachait pas d’embûches. Les bancs de coraux se signalent d’eux-mêmes sous une eau calme : ils se signalent par de larges plaques blanchâtres tachant la nappe bleue ou verte ; seulement, pour apercevoir à temps le danger, il faut avoir le soleil derrière soi. Les Anglais

  1. Voyez les ouvrages intitulés : Doria et Barberousse, et les Corsaires barbaresques ; Plon, Nourrit et Co, éditeurs, Je reviens encore sur ce sujet dans un autre ouvrage : les Chevaliers de Malte.