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orthodoxes dans l’empire ottoman, revendiqué d’une façon si inattendue et si impérieuse par son ambassadeur extraordinaire. C’était ramener la politique russe de cinquante années en arrière, détruire d’un trait de plume le travail laborieux et persévérant de sa diplomatie, porter une atteinte irréparable à son prestige sur les populations grecques et slaves, et opposer une barrière infranchissable à ses aspirations nationales.

Il avait fallu des raisons d’un ordre supérieur, l’espoir de préserver la paix, pour que Frédéric-Guillaume IV se prêtât à un acte si contraire à ses sentimens et si peu conforme au testament de son père, qui lui recommandait de ne jamais se séparer de la Russie. S’il y consentit, c’est qu’il se flattait que, par une pression morale collective, il faciliterait à son beau-frère le moyen de sortir de l’impasse où il se trouvait acculé. Il s’imaginait que sa présence dans le concert enlèverait à la notification des puissances tout caractère blessant pour l’amour-propre de l’empereur. Il le suppliait d’ailleurs, dans les termes les plus affectueux, de ne pas mettre en doute son amitié et son désir ardent de lui être secourable. Il lui en coûtait de l’abandonner ; ses cajoleries n’étaient pas exemptes de remords. Il est certain que le roi n’avait cédé qu’à son corps défendant aux supplications de son ministre, et qu’il avait fallu recourir, c’était le cas de le dire, à la croix et à la bannière pour obtenir son adhésion. Mais lorsque, après le refus du cabinet de Pétersbourg, il fut question de transformer le protocole en traité, le roi résista à toutes les sollicitations. Il déclarait que, moralement, il resterait uni aux trois puissances, qu’il maintiendrait l’accord sur les bases du protocole, mais n’irait pas au-delà. « Les quatre points, disait une circulaire de son gouvernement, sont des noyaux destinés à reparaître. » L’image était hardie, mais elle traduisait la pensée du cabinet.

Le roi voulait avant tout conjurer les coups de fusil entre l’Autriche et la Russie ; il voulait que l’alliance du Nord, à demi bri6ée par la plume, ne fût pas tranchée par l’épée. Dans sa pensée, l’évacuation des principautés danubiennes par les Russes était le but principal qu’avait à poursuivre l’Allemagne, et il était convaincu que l’Autriche, appuyée pour la forme seulement par l’armée prussienne, pourrait y entrer sans combattre et sans briser ses relations diplomatiques avec le cabinet de Pétersbourg. Il tenait avant tout à maintenir ses bons rapports avec la cour de Vienne. « Marcher d’accord avec l’Autriche serait allemand, disait-il au baron de Manteuffel. — Oui, sire, répondait le ministre, mais ce ne serait pas prussien. » Le roi n’en persistait pas moins à se rapprocher du gouvernement autrichien, avec l’espoir de le paralyser et de former