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secrétaire d’État... Et voici que Dugazon, à présent, interroge le maire de Paris avec inquiétude: « Mais notre titre de Comédien du Roi? — Vous paraissez y tenir. — Dame ! c’est notre noblesse à nous... » Et les délégués obtiennent l’assurance que « ce titre ne peut leur être contesté. »

Mais ce n’est pas le maire de Paris, non plus que le premier gentilhomme de la chambre, qui va décider de ce que doivent donner, sur le Théâtre national ou de la Nation, les Comédiens ordinaires du roi : un maître plus absolu, plus capricieux et plus impatient, veut désormais gouverner la maison; c’est le représentant immédiat et improvisé de la nation elle-même, — le parterre. Mirabeau lui prête sa voix pour réclamer Charles IX. On connaît trop ce débat pour que nous en répétions l’histoire : Talma dénonçant aux spectateurs la mauvaise volonté de ses camarades, et, pour cette trahison, expulsé de leur société; Talma et Charles IX triomphant après quelques jours, l’un jouant l’autre. — Est-ce pour se conformer à la légende que Talma, lui aussi, avait voulu voir une Saint-Barthélémy par la fenêtre et était monté au grenier? Toujours est-il que voilà justement l’occasion de la querelle où fut publié ce haut fait. Dans l’altercation qui suivit sa harangue au public, Talma prit sur Naudet l’avantage en lui donnant un soufflet; le lendemain, dans une rencontre au pistolet, son adversaire eut plutôt le beau rôle. A vingt pas de distance, Talma, qui était myope, badigeonnait l’espace : « Que cherchez-vous? » lui crient ses témoins. « Ma foi, répond-il, je cherche Naudet. » Celui-ci alors s’avance à dix pas : « Me voilà, dit-il; me vois-tu maintenant?» Et le grand tragédien tira; il tira trop haut. Mais l’autre, à son tour, tira plus haut encore : il tira en l’air. — Dix ans plus tôt, à propos d’un duel entre Dugazon et Dazincourt, Grimm écrivait dédaigneusement: «. Voilà peut-être de quoi dégoûter beaucoup d’honnêtes gens du plus barbare, du plus ridicule, et cependant du plus respecté de tous nos usages. » Pour s’en tenir à cette boutade, lorsque Naudet se fut ainsi conduit, il aurait fallu, tout de bon, être bien dégoûté.

Après ces deux balles perdues, si l’honneur était satisfait, le combat n’en continua pas moins dans le sein de la Comédie. On sait comment il se forma une droite et une gauche, et comment la droite resta sur la rive gauche, tandis que la gauche émigrait sur la rive droite. On sait que la colonie occupa le théâtre du Palais-Royal, qui devint le Théâtre-Français de la rue de Richelieu et bientôt le Théâtre de la République : pendant qu’elle reprenait Charles IX et jouait le Jugement dernier des rois, on sait que la métropole maintenait au répertoire la Partie de chasse de Henri IV et représentait l’Ami des lois; pendant que Talma faisait fureur sur la nouvelle scène, on sait que Dazincourt et ses compagnons, soutenus par leur public, narguaient l’arrêté de la Commune