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tour, de tel bastion avait absorbé les impôts de toute une province. Auprès de cette œuvre gigantesque, les pyramides d’Egypte et la muraille de Péluse n’avaient été qu’une fantaisie de souverain, un caprice d’enfant royal.

Depuis deux mille ans, elle se dressait là entre le vieil empire chinois et les plaines sans bornes de la Mongolie, et pendant des siècles, elle avait suffi à arrêter les incursions des peuplades tartares qui venaient battre à ses pieds. Elle avait protégé le génie chinois aux premières heures de son développement, et, à son abri, il avait pu librement chercher sa voie, s’élever à la conscience de lui-même, créer les formes intellectuelles, religieuses et morales qui lui sont demeurées propres, enfanter le fond d’idées générales dont il vit encore aujourd’hui.

Mais, à la fin, les flots des invasions mongoles s’étaient déchaînés avec tant d’impétuosité qu’ils avaient passé par-dessus comme une houle immense, et qu’ils avaient recouvert toute la Chine jusqu’à la Mer-Bleue.

Aujourd’hui, elle tombait presque partout en ruines, mais elle se détachait encore fièrement dans l’air limpide, où il n’y avait ni trace de vapeur, ni parcelle de poussière en suspens.

Nous allions en nombreuse société visiter les tombeaux de la dynastie des Ming, et nous marchions grand trot, à travers les champs, au milieu des abricotiers et des lilas en fleurs, dans la fraîcheur matinale de cette journée d’avril.

Tout à coup, du sommet d’une colline, une large vallée nous apparut. Le sol n’était pas cultivé, il n’y avait pas d’habitation, mais, çà et là, au pied des hauteurs qui formaient cercle tout autour, des touffes de verdure faisaient des taches sombres au milieu desquelles des toits d’or émergeaient, resplendissans au soleil.

A l’entrée du défilé, qui était la seule issue de cette vallée, une double rangée de statues d’hommes et d’animaux gigantesques s’allongeait et formait une avenue grandiose, étrange, conduisant aux sépultures impériales. Il y avait là des lions, des éléphans, des chameaux, des licornes, des guerriers, des archers, des prêtres, des dignitaires, dont la silhouette se profilait vaguement dans le lointain...

... Nous nous dirigeâmes vers le plus majestueux de ces tombeaux et l’un des plus anciens, celui où reposent depuis près de cinq siècles les restes de l’empereur Young-Loh : trois vastes cours, ombragées de platanes séculaires, se succédaient et séparaient trois temples dont le soubassement et les degrés étaient de marbre, et dont les toitures surplombantes étaient couvertes de tuiles dorées. Partout, sur les faîtières, sur les architraves, sur les rampes des