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depuis mon arrivée sur la terre d’extrême Orient, une impression presque sinistre qui faisait penser, au milieu de toutes ces choses mortes, que si la nature est puissante et bienfaisante pour créer, elle est impitoyable pour détruire. Aussi loin que la vue pouvait porter, rien de consolant ne se dégageait : je n’y retrouvais même pas cette poésie silencieuse, cette sérénité grandiose qui est l’attrait des steppes russes sous leur manteau de neige, et involontairement je songeais à ces existences plates, où rien non plus n’est vivant, d’où ne se lève aucun souvenir, — que l’ennui, la banalité, la médiocrité ont nivelées, et dont le passé est aussi froid, vague et morne que la plaine glacée qui se déroulait devant moi jusqu’à la mer.

Mais, au loin, du côté de la ville, j’entendais les sous d’une musique bizarre, au rythme lent et syncopé, à la mélodie grave et voilée : c’étaient des flûtes, des tambourins et des gongs.

Un cortège funèbre s’approchait, venait vers moi, et bientôt j’en pus distinguer tous les détails.

Il y avait en tête deux hommes coiffes d’un chapeau de feutre d’où pendait une vieille plume rouge défrisée, et habillés d’une tunique noire : ils semaient tout le long du chemin des papiers d’or et d’argent pour apaiser les mauvais esprits errans sur la route.

Marchaient ensuite les musiciens, puis des valets d’enterrement qui tenaient des bannières de soie brodée bleues et blanches, et des parasols de satin violet ; d’autres valets encore qui portaient sur des brancards une maisonnette de papier, des vêtemens féminins de papier aussi et tout semblables à des toilettes de poupée, des modèles minuscules de charrettes attelées de leurs mules de carton, une petite chaise à porteurs et tout un attirail d’objets d’usage domestique, petits et peinturlurés comme des jouets d’enfant.

Les parens venaient après, en grand costume de deuil, c’est-à-dire revêtus de longs surplis blancs et la tête couverte d’un chapeau noir dépouillé de sa passementerie habituelle. Ils pleuraient avec de grands cris, conformément aux rites, et quelques-uns d’entre eux affectaient de se soutenir à peine, ainsi qu’il est prescrit dans le cérémonial traditionnel des funérailles.

Le cercueil qui les suivait était porté par huit valets : il était de dimension énorme, mais sans autre ornement qu’une tenture fanée de soie bleu et or, car cet enterrement était simple, et la morte que l’on conduisait à sa dernière demeure appartenait à une classe moyenne de la société. Tout autour du catafalque, des bonzes vêtus de gris ou de jaune et la tête rasée, psalmodiaient dans une langue