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à Dunkerque, ont reçu vingt paquebots du Levant, chargés de raisin sec et de graines oléagineuses; sur ce nombre, un seul français, un bateau de 500 tonneaux !

C’est assez de chiffres ; j’en donne un dernier qui résume les autres. En 1789, notre commerce avec Smyrne figurait pour 42 l/2 pour 100 dans le commerce général de ce port. Cinquante ans après, en 1839, il n’était plus que d’environ 3 pour 100. Depuis cette époque, ce chiffre a plutôt diminué qu’augmenté, quoique le mouvement commercial de Smyrne ait passé de 100 à 250 millions. Nous avons donc raison de dire que, au point de vue économique, la France n’est plus rien dans le Levant. Les marchandises françaises, vraies ou fausses, qui s’étalent dans la grande rue du quartier franc, sont une apparence trompeuse dont les tableaux du commerce démontrent l’inanité.

Quelles sont les causes de cette chute? L’auteur du livre sur Smyrne, qui est avant tout un négociant, en a indiqué plusieurs, notamment l’énormité des commissions en France et la cherté des transports, causes matérielles auxquelles s’ajoute l’indifférence des compagnies subventionnées à l’égard du commerce, et la concurrence qu’elles font aux entreprises privées ; cette concurrence est d’autant plus désastreuse qu’elle repose sur un privilège de plus longue durée. L’auteur signale aussi les intrigues ourdies dans le Levant contre la navigation française et contre la Société des quais, auxiliaire naturelle de cette navigation. A Smyrne, les courtiers hollandais et anglais sont devenus les maîtres de la place, et une notable partie du négoce est entre les mains des Allemands. Ceux-ci, qui, avant la guerre de 1870, ne paraissaient pas sur les tableaux, ont été fortement soutenus par leur gouvernement et ont plusieurs maisons parfaitement organisées. « La Société de géographie commerciale de Berlin couvre le monde de ses émissaires, véritables commis-voyageurs qui répandent partout l’influence et la langue, les produits et les industries de l’Allemagne, et se chargent d’installer dans des lieux habilement choisis des colonies d’émigrans allemands. » Ils ont porté leur attention sur la viticulture, étudié les procédés européens, notamment les méthodes françaises. « Ils ont acheté près de la station du chemin de fer d’Aïdin des terrains étendus qu’ils ont plantés de vignes ; au milieu, ils ont construit une grande fabrique et des maisons d’habitation pour un directeur et un personnel allemands, arrivés tous de leur pays. Leurs magnifiques caves sont creusées à une profondeur de 6 mètres et considérées comme des chefs-d’œuvre. L’élément indigène est rigoureusement exclu du service. »

En France, on raille un peu l’Allemagne trop pauvre pour nourrir