Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 83.djvu/918

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gratis ses envois et retours par des vaisseaux de guerre partout où besoin serait. — Cet acte est du 18 juillet 1670, signé Louis et contresigné COLBERT. On le trouvera sur les registres du conseil d’état.

Ce que Louis XIV accordait d’argent à la compagnie du Levant était une forte somme pour l’époque. Ce n’était pas une subvention, comme celles que nous donnons annuellement à plusieurs sociétés. C’était un prêt, largement consenti, mais temporaire, qui obligeait la compagnie à compter sur elle-même et non sur l’argent de l’état. Car l’initiative privée est toujours préférable à l’action gouvernementale. Le roi soutenait de ses deniers les premiers pas d’une société naissante, qui devait ensuite marcher par ses propres forces.

A la même époque, Colbert réorganisait les consulats français dans le Levant, obligeait les consuls à étudier l’administration des villes, les produits qu’on récoltait, les ateliers établis et les marchandises qu’on apportait, soit du dehors par mer, soit de l’intérieur du pays. Il exigeait que les consuls lui adressassent des rapports sur les ressources locales et sur les avantages qu’un négoce pourrait trouver à s’établir auprès d’eux. Ces représentans royaux devaient correspondre directement avec la chambre de commerce de Marseille et faire, de concert avec elle, la police de la colonie. Cette police était sévère ; car à la suite de banqueroutes, de malversations et de commerces illicites survenus dans le Levant, il fut ordonné que nul ne pourrait s’établir marchand dans ce pays qu’après avoir été « examiné et reçu par la chambre de commerce de Marseille. » Cette chambre à son tour n’accordait que difficilement et à bon escient les autorisations de résidence qu’on lui demandait, attendu que l’intention du roi était de rappeler toute personne qui pourrait être dangereuse ou inutile. On ne jouissait donc pas de la liberté commerciale qui fut laissée plus tard ; mais ce que la colonie perdait en liberté, elle le gagnait en moralité et en considération, par conséquent en crédit. Et pourtant la liberté alla plutôt en diminuant qu’en augmentant jusqu’au temps de la révolution française ; car peu d’années avant cet événement, aux difficultés légales déjà existantes on ajouta celle de fournir à la chambre de Marseille un cautionnement de 60,000 livres pour les grandes Echelles, de 40,000 pour les petites. Les mêmes garanties étaient exigées des négocians déjà établis dans le Levant; ainsi la mesure avait un effet rétroactif.

À ces conditions, les maisons de commerce étaient, pour chacune des Echelles, constituées en corps de Nation. L’organisation de ces nations du Levant est un des faits les plus curieux du XVIIIe siècle; car c’était comme un avant-coureur, comme un modèle en petit du régime que la révolution devait introduire en France.