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Tel est l’état des choses dans le Levant. Le tableau que nous en donnons n’a rien de fantastique ; il est fait d’après ce que nous avons vu ou appris par d’autres : c’est la réalité même. Regardez-le à distance et dans son ensemble : vous verrez une péninsule à laquelle la nature a départi un sol fertile, de riches vallées, des montagnes boisées ou pleines de métaux, des rivières nombreuses, des rivages creusés de golfes, de baies, de rades et de ports, et protégés par des îles qui les égalent en valeur. Sur ces rivages s’agite une population formée de toutes les nations, parlant toutes les langues; elle vend et achète pour revendre ce que la navigation du monde lui apporte; elle est tout occupée de marchés, de négociations, d’intrigues, d’embûches et de corruptions. Cela forme une zone étroite étendue le long de la mer. Au-delà commencent la pauvreté et l’inertie, qui s’étendent jusqu’aux frontières de l’Inde. Ici la vie reprend son énergie, grâce au ferment que la présence des Anglais lui a communiqué. L’Inde donne la démonstration vivante de ce que les Européens pourraient accomplir dans le monde musulman. Il nous reste à dire ce que leur action est devenue depuis cent années.


III.

Le commerce du Levant appartint d’abord aux Phéniciens, qui eurent des comptoirs sur tous les rivages de la Méditerranée et pénétrèrent même dans l’Océan. Plusieurs de leurs établissemens devinrent plus tard des villes maritimes considérables, portant encore les noms qu’ils leur ont donnés. Les Phéniciens, sémites, furent remplacés par les Pelages, peuple arien, nommés Philistins ou Palestins par les Hébreux et Pélesta dans les hiéroglyphes de l’Égypte. Ce sont les fondateurs du commerce côtier, dont les revenus permirent aux Grecs, et particulièrement aux Ioniens, de produire cette merveilleuse civilisation d’où nous sommes nous-mêmes issus. Si ce mouvement commercial, dont la mer Egée était le centre, avait manqué, la Grèce n’aurait eu ni arts, ni sciences, toutes choses qui se paient. Quand il changea de place, après l’expédition d’Alexandre, et qu’il se fut créé des centres nouveaux, tels qu’Alexandrie, la Grèce fut promptement délaissée; son mouvement intellectuel se transporta avec son commerce et se centralisa comme lui en Égypte. Les Romains ne portèrent en Orient que leur puissance militaire et leur administration politique; mais Rome, avec l’Italie et les pays situés plus loin vers l’ouest et le nord, offrit de nouveaux et vastes débouchés au commerce du Levant, en même temps que celui de la Mer-Noire et des contrées danubiennes se concentrait dans Constantinople.